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DE LA DISTRIBUTION DES RICHESSES.

Les échanges et le commerce approprient, comme on voit, les produits à la nature des besoins généraux. Les denrées, quelles qu’elles soient, pour la nourriture, ou pour le vêtement, ou pour le logement, dont le besoin se fait plus sentir, sont le plus demandées, donnent de plus gros profits et sont produites de préférence. Chaque famille satisfait d’autant plus de besoins, qu’elle peut acheter davantage. Elle peut acheter d’autant plus, que sa propre production est plus grande, ou, en termes vulgaires, ses revenus plus considérables. Ainsi, en résultat définitif, les familles, et la nation qui se compose de toutes les familles, ne subsistent que de leurs produits, et l’étendue des produits borne nécessairement le nombre de ceux qui peuvent subsister.

Chez les animaux qui sont incapables de mettre aucune prévoyance dans la satisfaction de leurs appétits, les individus qui naissent, lorsqu’ils ne deviennent pas la proie de l’homme ou des autres animaux, périssent du moment qu’ils éprouvent un besoin indispensable qu’ils ne peuvent satisfaire. Chez l’homme, la difficulté de pourvoir à des besoins futurs, fait entrer la prévoyance pour quelque chose dans l’accomplissement du vœu de la nature ; et cette prévoyance préserve seule l’humanité d’une partie des maux qu’elle aurait à supporter, si le nombre des hommes devait perpétuellement être réduit par des destructions violentes[1].

Encore, malgré la prévoyance attribuée à l’homme, et la contrainte que la raison, les lois et les mœurs lui imposent, il est évident que la multiplication des hommes va toujours non-seulement aussi loin que leurs moyens d’exister le permettent, mais encore un peu au-delà. Il est affligeant de penser, mais il est vrai de dire que, même chez les nations les plus prospères, une partie de la population périt tous les ans de besoin. Ce n’est pas que tous ceux qui périssent de besoin meurent positivement du défaut de nourriture, quoique ce malheur soit beaucoup plus fréquent qu’on

  1. Les préjugés de mœurs ou de religion qui s’opposent à la réserve que les hommes mettent dans la multiplication de leur espèce, ont ce fâcheux effet que les réductions nécessaires portent alors sur des êtres plus développés et susceptibles de souffrir. En Turquie, où des crieurs publics parcourent de nuit toutes les rues pour avertir les époux de faire des sujets au sultan ; ce sont des massacres et des épidémies qui réduisent les hommes au nombre que l’industrie du pays peut faire subsister ; et quand la population n’est pas réduite ainsi, elle l’est par la misère, comme chez les juifs et les chrétiens ; procédé qui ne cause pas moins de douleurs.