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LIVRE SECOND. — CHAPITRE X.

valeur et peu de capitaux pour faire valoir notre industrie. L’étranger, en fesant un achat de terres, a changé avec nous un revenu capital dont nous profitons, contre un revenu foncier qu’il perçoit ; un intérêt d’argent contre un fermage ; et si notre industrie est active, éclairée, nous retirons plus par cet intérêt que nous ne retirions par le fermage ; mais il a donné un capital mobile et susceptible de dissipation, contre un capital fixe et durable. La valeur qu’il a cédée a pu s’évanouir par défaut de conduite de notre part ; la terre qu’il a acquise est restée, et, quand il voudra, il vendra la terre et en retirera chez lui la valeur.

On ne doit donc nullement craindre les acquisitions de biens-fonds faites par les étrangers, quand le prix de l’acquisition doit être employé reproductivement. Quant à la forme sous laquelle un revenu perçu chez un peuple passe chez un autre, soit qu’on fasse venir ce revenu en espèces monnayées, en lingots ou en toute autre marchandise, cette considération n’est d’aucune importance ni pour un pays ni pour l’autre, ou plutôt il leur est important de laisser les particuliers retirer ces valeurs sous la forme qui leur convient le mieux, parce que c’est indubitablement celle qui convient le mieux aux deux nations ; de même que dans leur commerce réciproque, la marchandise que les particuliers préfèrent exporter ou importer, est aussi celle qui convient le mieux à leurs nations respectives.

Les agens de la compagnie anglaise dans l’Inde retirent de ce vaste pays, soit des revenus annuels, soit une fortune faite, dont ils reviennent jouir en Angleterre : ils se gardent bien de retirer cette fortune en or ou en argent, car les métaux précieux valent bien plus en Asie qu’en Europe ; ils la convertissent en marchandises de l’Inde, sur lesquelles ils font encore un profit lorsqu’elles sont arrivées en Europe ; ce qui fait qu’une somme d’un million, qu’ils emportent, leur vaut peut-être douze cent mille francs et plus, lorsqu’ils sont rendus à leur destination. L’Europe acquiert, par cette opération, douze cent mille francs, et l’Inde ne perd qu’un million. Si les déprédateurs de l’Inde voulaient que ces douze cent mille francs fussent apportés en espèces, ils seraient obligés d’emporter hors de l’Indoustan quinze cent mille francs, peut-être, qui, rendus en Angleterre, n’en vaudraient plus que douze cent mille. On a beau percevoir une somme en espèces, on ne la transporte que changée en la marchandise qui convient le mieux pour la transporter[1]. Tant

  1. Raynal dit que la compagnie anglaise, tirant des revenus du Bengale, et venant les consommer en Europe, finira par épuiser le pays de numéraire, parce qu’elle seule y fait le commerce et qu’elle n’y en porte point. Raynal se trompe. Les négocians portent aux Indes des métaux précieux, parce qu’ils y valent plus qu’en Europe ; et, par cette raison même, les employés de la compagnie, qui font des fortunes en Asie, se gardent bien d’en rapporter du numéraire.
    Que si l’on disait que les fortunes transportées en Europe y sont moins solides et plus faciles à dissiper étant en marchandises, que si elles étaient en numéraire, on se tromperait encore. La forme sous laquelle se trouvent les valeurs ne fait rien à la solidité ; une fois transportées en Europe, elles peuvent être changées en numéraire, ou en belles et bonnes terres. L’essentiel, comme dans le commerce entre nations, n’est point la forme sous laquelle circulent les valeurs ; c’est leur montant.