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LIVRE SECOND. — CHAPITRE VIII.

Europe au sixième de son ancienne valeur, il a fallu, pour prêter le même capital, donner six fois plus d’argent ; mais l’intérêt est resté le même. La quantité d’argent viendrait à décupler dans le monde, que les capitaux disponibles pourraient n’être pas plus abondans[1].

C’est donc bien à tort qu’on se sert du mot intérêt de l’argent, et c’est probablement à cette expression vicieuse qu’on doit d’avoir regardé l’abondance ou la rareté de l’argent comme pouvant influer sur le taux de l’intérêt[2]. Law, Montesquieu, et le judicieux Locke lui-même, dans un écrit dont le but était de chercher les moyens de faire baisser l’intérêt de l’argent, s’y sont trompés. Faut-il être surpris que d’autres s’y soient trompés après eux ? La théorie de l’intérêt est demeurée couverte d’un voile épais jusqu’à Hume et Smith[3] qui l’ont levé. Cette matière ne sera jamais claire que pour ceux qui se formeront une idée juste de ce qui est appelé capital dans tout le cours de cet ouvrage ; qui concevront que, lorsqu’on emprunte, ce n’est pas telle ou telle denrée ou marchandise qu’on emprunte, mais une valeur, portion de la valeur du capital prêta-

  1. Ceci n’est point contradictoire avec ce qui a été dit ailleurs, qu’une portion importante des monnaies fait partie des capitaux de la société. Les monnaies, même quand elles représentent un capital, ne font pas, sous leur forme matérielle, partie du capital disponible de la société : elles ne cherchent pas leur emploi ; il est tout trouvé ; c’est de servir aux échanges qu’on a besoin de conclure. Cet office accompli dans un lieu, elles vont dans un autre servir de la même manière, et n’importent plus en aucune façon ni au préteur ni à l’emprunteur qui les ont précédemment employées.
  2. Si l’intérêt était d’autant plus bas que l’argent est plus abondant, il serait plus bas en Amérique qu’en Europe : ce qui n’est pas.
  3. Voyez les Essais de Hume, deuxième partie, essai 4 ; et Smith, Rich. des Nat, liv. II, ch. 4.

    Locke et Montesquieu auraient fait dix gros volumes sur l’économie politique, qu’il faudrait bien se garder de les lire. Plus un auteur est ingénieux, et plus il obscurcit la matière qu’il n’entend pas. En effet, un homme d’esprit n’a pu se payer que de raisons spécieuses, de toutes les plus dangereuses pour le commun des lecteurs, qui ne possèdent pas assez sûrement les principes, pour découvrir une erreur à la première vue. Dans les sciences qui ne font que recueillir et classer des observations, comme la botanique, l’histoire naturelle, il faut lire tout. Dans les sciences où il s’agit de déduire des lois générales de l’observation des faits particuliers, comme la physique, l’économie politique, il ne faut lire que deux ou trois ouvrages, et ne pas les choisir parmi les mauvais.