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LIVRE SECOND. — CHAPITRE VIII.

violentes, plus l’exécution en était rigoureuse, et plus l’intérêt de l’argent s’élevait : c’était le résultat de la marche ordinaire des choses. Plus on augmentait les risques du prêteur, et plus il avait besoin de s’en dédommager par une forte prime d’assurance. À Rome, pendant tout le temps de la république, l’intérêt de l’argent fut énorme ; on l’aurait deviné si l’on ne l’avait pas su : les débiteurs, qui étaient les plébéiens, menaçaient continuellement leurs créanciers, qui étaient les patriciens. Mahomet a proscrit le prêt à intérêt ; qu’arrive-t-il dans les états musulmans ? On prête à usure : il faut bien que le prêteur s’indemnise de l’usage de son capital qu’il cède, et de plus, du péril de la contravention. La même chose est arrivée chez les chrétiens aussi long-temps qu’ils ont prohibé le prêt à intérêt ; et quand le besoin d’emprunter le leur fesait tolérer chez les juifs, ceux-ci étaient exposés à tant d’humiliations, d’avanies, d’extorsions, tantôt sous un prétexte, tantôt sous un autre, qu’un intérêt considérable était seul capable de couvrir des dégoûts et des pertes si multipliés. Des lettres patentes du roi Jean, de l’an 1360, autorisent les juifs à prêter sur gages, en retirant pour chacune livre, ou vingt sous, quatre deniers d’intérêts par semaine, ce qui fait plus de 86 pour cent par an ; mais dès l’année suivante, ce prince, qui pourtant passe pour un des plus fidèles à leur parole que nous ayons eus, fit secrètement diminuer la quantité du métal fin contenue dans les monnaies ; de manière que les prêteurs ne reçurent plus en remboursement une valeur égale à celle qu’ils avaient prêtée.

Cela suffit pour expliquer et pour justifier le gros intérêt qu’ils exigeaient ; sans compter qu’à une époque où l’on empruntait, non pas tant pour former des entreprises industrielles, que pour soutenir des guerres et fournir à des dissipations et à des projets hasardeux, à une époque où les lois étaient sans force et les prêteurs hors d’état d’exercer avec succès une action contre leurs débiteurs, il leur fallait une grosse assurance pour couvrir l’incertitude du remboursement. La prime d’assurance formait la majeure partie de ce qui portait le nom d’intérêt ou d’usure ; et l’intérêt véritable, le loyer pour l’usage du capital, se réduisait à fort peu de chose. Je dis à fort peu de chose ; car, quoique les capitaux fussent rares, je soupçonne que les emplois productifs étaient plus rares encore. Sur les 86 pour cent d’intérêt payés sous le roi Jean, il n’y avait peut-être pas plus de 3 à 4 pour cent qui représentassent le service productif des capitaux prêtés ; tous les services productifs sont mieux payés de nos jours qu’ils ne l’étaient alors, et le service productif des capitaux ne peut guère actuelle-