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LIVRE SECOND. — CHAPITRE VII.

nombre. Ce mal, toute proportion gardée, n’est pas plus considérable dans une société civilisée que chez les peuplades sauvages. En accuser l’état social est une injustice ; se flatter qu’on pourra s’en affranchir est une illusion ; travailler à l’atténuer est une noble occupation : mais il ne faut pas chercher des remèdes qui ne remédieraient à rien ou qui auraient des inconvéniens pires que le mal.

Sans doute le gouvernement, lorsqu’il le peut sans provoquer aucun désordre, sans blesser la liberté des transactions, doit protéger les intérêts des ouvriers, parce qu’ils sont moins que ceux des maîtres protégés par la nature des choses ; mais, en même temps, si le gouvernement est éclairé, il se mêlera aussi peu que possible des affaires des particuliers, pour ne pas ajouter aux maux de la nature ceux qui viennent de l’administration.

Ainsi, il protégera les ouvriers contre la collusion des maîtres, non moins soigneusement qu’il protégera les maîtres contre les complots des ouvriers. Les maîtres sont moins nombreux, et leurs communications plus faciles. Les ouvriers, au contraire, ne peuvent guère s’entendre sans que leurs ligues aient l’air d’une révolte que la police s’empresse toujours d’étouffer. Le système qui fonde les principaux gains d’une nation sur l’exportation de ses produits, est même parvenu à faire considérer les ligues des ouvriers comme funestes à la prospérité de l’état, en ce qu’elles entraînent une hausse dans le prix des marchandises d’exportation, laquelle nuit à la préférence qu’on veut obtenir sur les marchés de l’étranger. Mais quelle prospérité que celle qui consiste à tenir misérable une classe nombreuse dans l’état, afin d’approvisionner à meilleur marché des étrangers qui profitent des privations que vous vous êtes imposées ! On rencontre des chefs d’industrie qui, toujours prêts à justifier par des argumens les œuvres de leur cupidité, soutiennent que l’ouvrier mieux payé travaillerait moins, et qu’il est bon qu’il soit stimulé par le besoin. Smith, qui avait beaucoup vu et parfaitement bien observé, n’est pas de leur avis. Je le laisserai s’expliquer lui-même.

« Une récompense libérale du travail, dit cet auteur, en même temps qu’elle favorise la propagation de la classe laborieuse, augmente son industrie, qui, semblable à toutes les qualités humaines, s’accroît par la valeur des encouragemens qu’elle reçoit. Une nourriture abondante fortifie le corps de l’homme qui travaille ; la possibilité d’étendre son bien-être et de se ménager un sort pour l’avenir, en éveille le désir, et ce désir l’excite aux plus vigoureux efforts. Partout où les salaires sont élevés, nous voyons les ouvriers plus intelligens et plus expéditifs ; ils le