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DE LA DISTRIBUTION DES RICHESSES.

Il n’est pas à craindre que les consommations de la classe des ouvriers s’étendent bien loin, grâce au désavantage de sa position. L’humanité aimerait à les voir, eux et leur famille, vêtus selon le climat et la saison ; elle voudrait que dans leur logement ils pussent trouver l’espace, l’air et la chaleur nécessaires à la santé ; que leur nourriture fût saine, assez abondante, et même qu’ils pussent y mettre quelque choix et quelque variété ; mais il est peu de pays où des besoins si modérés ne passent pour excéder les bornes du strict nécessaire, et où par conséquent ils puissent être satisfaits avec les salaires accoutumés de la dernière classe des ouvriers.

Ce taux du strict nécessaire ne varie pas uniquement à raison du genre de vie plus ou moins passable de l’ouvrier et de sa famille, mais encore à raison de toutes les dépenses regardées comme indispensables dans le pays où il vit. C’est ainsi que nous mettions tout à l’heure au rang de ses dépenses nécessaires celle d’élever ses enfans ; il en est d’autres moins impérieusement commandées par la nature des choses, quoiqu’elles le soient au même degré par le sentiment : tel est le soin de vieillards. Dans la classe ouvrière il est trop négligé. La nature, pour perpétuer le genre humain, ne s’en est rapporté qu’aux impulsions d’un appétit violent et aux sollicitudes de l’amour paternel ; les vieillards dont elle n’a plus besoin, elle les abandonne à la reconnaissance de leur postérité, après les avoir rendus victimes de l’imprévoyance de leur jeune âge. Si les mœurs d’une nation rendaient indispensable l’obligation de préparer, dans chaque famille, quelque provision pour la vieillesse, comme elles en accordent en général à l’enfance, les besoins de première nécessité étant ainsi un peu plus étendus, le taux naturel des plus bas salaires serait un peu plus fort. Aux yeux du philanthrope, il doit paraître affreux que cela ne soit pas toujours ainsi ; il gémit en voyant que l’ouvrier, non-seulement ne prévoit pas la vieillesse, mais qu’il ne prévoit pas même les accidens, la maladie, les infirmités. Là se trouvent des motifs d’approuver, d’encourager ces associations de prévoyance où les ouvriers déposent chaque jour une très-petite épargne pour s’assurer une somme au moment où l’âge ou bien des infirmités inattendues, viendront les priver des ressources de leur travail[1]. Mais il faut, pour que de telles associations réus-

  1. Les caisses de prévoyance ou d’épargnes ont réussi dans plusieurs cantons d’Angleterre, de Hollande et d’Allemagne, là surtout où le gouvernement a été assez sage pour ne s’en pas mêler ; car un gouvernement est un comptable trop puissant pour inspirer une confiance entière. À Paris, une compagnie de riches négocians et de philanthropes a formé une caisse d’épargnes où l’on peut placer aussi peu que vingt sous par semaine. Elle a produit beaucoup de bien ; mais pour que des caisses d’épargnes procurassent des secours vraiment efficaces, il faudrait qu’elles fussent bien plus multipliées ; qu’il y en eût pour chaque profession, pour chaque quartier, et qu’on trouvât des moyens pour qu’elles fussent administrées avec intelligence et la plus parfaite intégrité.