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DE LA DISTRIBUTION DES RICHESSES.

serait pas tenu au complet. La demande de leur travail deviendrait supérieure à la quantité de ce travail qui pourrait être mise en circulation ; le taux de leur salaire hausserait, jusqu’à ce que cette classe fût de nouveau en état d’élever des enfans en nombre suffisant pour satisfaire à la quantité de travail demandé.

C’est ce qui arriverait si beaucoup d’ouvriers ne se mariaient pas. Un homme qui n’a ni femme ni enfans peut fournir son travail à meilleur marché qu’un autre qui est époux et père. Si les célibataires se multipliaient dans la classe ouvrière, non-seulement ils ne contribueraient point à recruter la classe, mais ils empêcheraient que d’autres pussent la recruter. Une diminution accidentelle dans le prix de la main-d’œuvre, en raison de ce que l’ouvrier célibataire pourrait travailler à meilleur marché, serait suivie plus tard d’une augmentation plus forte, en raison de ce que le nombre des ouvriers déclinerait. Ainsi, quand même il ne conviendrait pas aux chefs d’entreprises d’employer des ouvriers mariés parce qu’ils sont plus rangés, cela leur conviendrait, dût-il leur en coûter un peu plus, pour éviter de plus grands frais de main-d’œuvre, qui retomberaient sur eux si la population déclinait.

Ce n’est pas que chaque profession, prise en particulier, se recrute régulièrement des enfans qui prennent naissance dans son sein. Les enfans passent de l’une dans l’autre, principalement des professions rurales aux professions analogues dans les villes, parce que les enfans s’élèvent à moins de frais dans les campagnes ; j’ai seulement voulu dire que la classe des manouvriers les plus simples, retire nécessairement, dans les produits auxquels son travail concourt, une portion suffisante non-seulement pour exister, mais encore pour se recruter[1].

Quand un pays décline, quand il s’y trouve moins de moyens de production, moins de lumières, d’activité ou de capitaux, alors la demande des travaux grossiers diminue par degrés ; les salaires tombent au-dessous du taux nécessaire pour que la classe manouvrière se per-

  1. Suivant des témoignages recueillis devant un comité de la chambre des communes d’Angleterre, en 1813, le haut prix des subsistances, à cette époque, loin de faire hausser les salaires, les avait fait baisser. J’ai moi-même observé un effet pareil dans les disettes qui ont eu lieu en France, en 1811 et 1817. La difficulté de vivre avait obligé plus de monde à travailler, ou obligé ceux qui déjà travaillaient, à un travail plus opiniâtre ; de là, surabondance dans la denrée appelée travail. Mais en même temps la classe ouvrière a dû souffrir pendant ces mêmes époques, et par conséquent diminuer en nombre.