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LIVRE SECOND. — CHAPITRE VII.

Tout travail qui n’est pas constant est nécessairement mieux payé ; car il faut qu’on le paie à la fois pour le moment où il est en exercice, et pour le moment où il attend qu’on ait besoin de lui. Un loueur de carrosses se fait payer les jours où il travaille, plus que ne sembleraient l’exiger les peines qu’il se donne et l’intérêt du capital qu’il emploie ; c’est parce qu’il faut que les jours où il travaille, gagnent pour ceux où il ne travaille pas. Il ne pourrait demander un autre prix sans se ruiner. Le loyer des travestissemens est fort cher par la même raison : le carnaval paie pour toute l’année.

Un mauvais dîner coûte fort cher lorsqu’on voyage sur une route peu fréquentée, parce qu’il faut que l’aubergiste gagne pour la veille et pour le lendemain. Quand l’habileté nécessaire pour exercer une industrie, soit en chef, soit en sous-ordre, ne peut être le fruit que d’une étude longue et coûteuse, cette étude n’a pu avoir lieu qu’autant qu’on y a consacré chaque année quelques avances, et le total de ces avances est un capital accumulé. Alors le salaire du travail n’est plus un salaire seulement : c’est un salaire accru de l’intérêt des avances que cette étude a exigées ; cet intérêt est même supérieur à l’intérêt ordinaire, puisque le capital dont il est ici question est placé à fonds perdu, et ne subsiste pas au-delà de la vie de l’homme : c’est un intérêt viager[1].

Voilà pourquoi tous les emplois de temps et de facultés qui demandent qu’on ait reçu une éducation libérale, sont mieux récompensés que ceux

  1. C’est même plus qu’un intérêt viager des sommes consacrées à l’éducation de la personne qui reçoit le salaire : c’est, à la rigueur, l’intérêt viager de toutes les sommes consacrées au même genre d’étude, que les talens soient venus ou non à maturité. Ainsi le total des honoraires des médecins doit payer, outre l’intérêt des sommes consacrées à leurs études, celui des sommes consacrées à l’instruction des étudiants morts pendant leur éducation, ou qui n’ont pas répondu aux soins qu’on a pris d’eux ; car la masse des travaux médicinaux actuellement en circulation n’a pu exister, sans qu’une partie des avances consacrées à l’instruction des médecins ait été perdue. Au surplus, une trop minutieuse exactitude dans les appréciations de l’économie politique est sans utilité, et se trouve fréquemment démentie par les faits, à cause de l’influence des considérations morales dans les faits de ce genre, considérations qui n’admettent pas une précision mathématique. C’est pourquoi l’application des formules algébriques à cette science est tout-à-fait superflue, et ne sert qu’à la hérisser de difficultés sans objet. Smith ne les a pas employées une seule fois.