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DE LA DISTRIBUTION DES RICHESSES.

Il n’y a pas une de ces causes qui ne tende à diminuer la quantité de travail mis en circulation, dans chaque genre, relativement à la quantité qu’on en demande, et par conséquent à élever le taux naturel de ses profits. À peine a-t-on besoin que des exemples viennent à l’appui de propositions si évidentes.

Parmi les agrémens ou les désagrémens d’une profession, il faut ranger la considération ou le mépris qui l’accompagne. L’honneur est une espèce de salaire qui fait partie des profits de certaines conditions. Dans un prix donné, plus cette monnaie est abondante, et plus l’autre peut être rare, sans que le prix soit diminué. Smith remarque que le littérateur, le poète, le philosophe, sont presque entièrement payés en considération. Soit raison, soit préjugé, il n’en est pas tout-à-fait ainsi des professions de comédien, de danseur, et de plusieurs autres. Il faut bien leur accorder en argent ce qu’on leur refuse en égards. « Il paraît absurde au premier aspect, ajoute Smith, que l’on dédaigne leur personne et qu’on récompense leurs talens souvent avec la plus somptueuse libéralité. L’un n’est pourtant que la conséquence nécessaire de l’autre. Si l’opinion ou le préjugé du public venait à changer touchant ces occupations, leur traitement pécuniaire tomberait à l’instant. Plus de gens s’appliqueraient à ce genre d’industrie, et leur concurrence en ferait baisser le prix. De tels talens poussés à un certain point, sans être communs, ne sont pas si rares qu’on l’imagine : bien des gens les possèdent, qui regardent comme au-dessous d’eux d’en faire un objet de lucre ; et un bien plus grand nombre seraient capables de les acquérir, s’ils procuraient autant d’estime que d’argent[1]. »

On objectera peut-être que certaines fonctions publiques procurent à la fois beaucoup d’honneurs et beaucoup d’argent ; mais il est évident que les intérêts des hommes ne sont pas, dans ce cas, abandonnés à leur cours naturel. C’est le public qui supporte la dépense des places, mais ce n’est pas le public qui en fixe le nombre et les émolumens. C’est le plus souvent un pouvoir plus jaloux de distribuer des faveurs et d’accroître sa clientelle, que de ménager les intérêts du contribuable. Dans les pays qui jouissent d’une organisation politique plus parfaite, où les emplois sont donnés au mérite constaté par un concours équitable, et où les émolumens ne sont qu’une juste récompense des services rendus, le public est mieux servi à moins de frais.

  1. Rich. des Nat., liv. I, ch. 20.