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DE LA DISTRIBUTION DES RICHESSES.

Cela pourra paraître extraordinaire au premier abord, mais on trouvera généralement vrai à l’examen, que les meilleurs profits ne se font pas sur les denrées les plus chères et sur celles dont on peut le mieux se passer, mais bien plutôt sur les plus communes et les plus indispensables. En effet, la demande de celles-ci se soutient nécessairement : elle est commandée par le besoin ; elle s’étend même à mesure que les moyens de production s’étendent ; car c’est surtout la production des denrées de première nécessité qui favorise la population. La demande, au contraire, des superfluités, ne s’élève pas à mesure que s’étendent les moyens de production de ces mêmes superfluités ; si une vogue extraordinaire en fait monter le prix courant fort au-dessus du prix naturel, c’est-à-dire du montant des frais de production, une vogue contraire le fait tomber fort au-dessous ; les superfluités ne sont, pour les riches eux-mêmes, que d’un besoin secondaire, et la demande qu’on en fait est bornée par le petit nombre de gens à l’usage de qui elles sont. Enfin, lorsqu’une cause accidentelle quelconque force les gens à réduire leurs dépenses, lorsque des déprédations, des impôts, des disettes, viennent diminuer les revenus de chacun, quelles sont les dépenses qu’on supprime les premières ? On retranche d’abord les consommations dont on peut le mieux se passer. Cela suffit pour expliquer pourquoi les services productifs qui se consacrent à la production des superfluités, sont en général plus faiblement payés que les autres.

Je dis en général ; car dans une grande capitale, où les besoins du luxe se font sentir plus vivement que partout ailleurs, où l’on obéit quelquefois avec plus de soumission aux ridicules décrets de la mode qu’aux lois éternelles de la nature, et où tel homme se prive de dîner pour montrer des manchettes brodées, on conçoit que le prix des colifichets puisse quelquefois payer fort généreusement les mains et les capitaux qui s’appliquent à leur production. Mais, excepté dans certains cas, et en balançant toujours les profits d’une année par ceux d’une autre année et par les non-valeurs, on a remarqué que les chefs d’entreprises qui produisent des superfluités, font les profits les plus médiocres, et que leurs ouvriers sont les plus médiocrement payés. En Normandie et en Flandre, les plus belles dentelles sont travaillées par des gens très-misérables, et les ouvriers qui fabriquent à Lyon des brocarts d’or sont souvent vêtus de guenilles. Ce n’est pas qu’on ne fasse occasionnellement sur de tels objets des bénéfices très-considérables : on a vu des manufacturiers s’enrichir en fabriquant des chapeaux de fantaisie ; mais si l’on met ensemble tous les profits faits