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LIVRE SECOND. — CHAPITRE V.

évalue chaque produit séparément en écus. Lorsqu’on dit, par exemple, que les revenus de la France s’élèvent à 8 milliards de francs, cela ne signifie pas que la France produit, par son commerce, des écus pour une somme de huit milliards. Elle n’importe peut-être pas de l’argent pour un million, peut-être pas pour un franc. On entend seulement que tous les produits de la France, pendant le cours d’une année, évalués chacun en particulier en argent, équivaudraient à une somme de 8 milliards de francs. On n’emploie la monnaie à cette évaluation que parce que nous sommes habitués à nous faire une idée approximative de sa valeur, c’est-à-dire de ce qu’on peut avoir pour une somme d’argent déterminée ; autrement, il vaudrait autant évaluer les revenus de la France à quatre cent millions d’hectolitres de blé ; ce qui reviendrait au même, lorsque le froment est à 20 francs.

La monnaie sert à faire circuler d’une main dans une autre des valeurs qui sont ou des portions de revenus ou des portions de capital ; mais elle-même n’est point un revenu de l’année, parce qu’elle n’est point un produit de l’année. C’est le produit d’un commerce plus ou moins ancien. Cet argent circulait l’année passée, la précédente, le siècle dernier ; il n’a rien acquis depuis ce temps ; et même si la valeur de ce métal a décliné, la nation est en perte sur cette portion de son capital ; comme un négocant qui aurait ses magasins remplis d’une marchandise dont le prix déclinerait, verrait diminuer plutôt qu’augmenter cette portion de sa fortune.

Ainsi, quoique la plupart des revenus, c’est-à-dire, des valeurs produites, se résolvent pendant un moment en monnaie, quoiqu’ils puissent être évalués en monnaie, ce n’est point cette monnaie, ce n’est point une somme d’argent qui fait le revenu : le revenu est la valeur avec laquelle on a acheté la somme d’argent ; et comme cette valeur se trouve fort passagèrement sous forme de monnaie, les mêmes écus servent bien des fois dans l’année à payer ou à recevoir des revenus différens.

Il y a même des portions de revenu qui ne prennent jamais la forme d’une somme d’argent. Un manufacturier qui nourrit ses ouvriers, leur paie une portion de leur salaire en nourriture : ce salaire, qui fait le principal revenu de l’ouvrier, est acquitté, perçu et consommé, sans avoir été un seul instant transformé en monnaie.

Il y a tel cultivateur aux États-Unis et ailleurs, qui trouve dans le produit de sa ferme, la nourriture, l’abri, le vêtement de toute sa famille ; il reçoit tout son revenu en nature et le consomme de même, sans l’avoir transformé en argent.