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LIVRE SECOND. — CHAPITRE V.

On voit par là que ce mot produit net ne peut s’appliquer qu’aux revenus de chaque entrepreneur particulier, mais que le revenu de tous les particuliers pris ensemble, ou de la société, est égal au produit brut résultant des terres, des capitaux et de l’industrie de la nation : ce qui ruine le système des économistes du dix-huitième siècle, qui ne regardaient comme le revenu de la société, que le produit net des terres, et qui concluaient que la société n’avait à consommer qu’une valeur égale à ce produit net, comme si la société n’avait pas à consommer tout entière une valeur qu’elle a créée tout entière[1].

Et qu’on ne s’imagine pas qu’un revenu, fruit d’une valeur produite, n’est pas un revenu, parce qu’il a été consommé, parce qu’il a subi sa destinée qui était de pourvoir aux besoins de la société. S’il n’y avait de revenus dans une nation que l’excédant des valeurs produites sur les valeurs consommées, il résulterait de là une conséquence véritablement absurde : c’est qu’une nation qui aurait consommé, dans son année, autant de valeurs qu’elle en aurait produit, n’aurait point eu de revenu. Un homme qui a dix mille francs de rente est-il considéré comme n’ayant pas de revenu, lorsqu’il mange la totalité de ses rentes ?

Tout ce qu’un particulier reçoit des profits de ses terres, de ses capitaux et de son industrie dans le courant d’une année, s’appelle son revenu annuel.

La somme des revenus de tous les particuliers dont se compose une nation, forme le revenu de cette nation[2]. Il équivaut à la valeur brute de tous ses produits. Cependant on ne peut y comprendre que le produit net de son commerce avec l’étranger ; car une nation relativement à une autre, est dans la situation d’un particulier avec son voisin. Un marchand ne gagne pas la valeur entière de la denrée qu’il vend, mais seulement

  1. Les agens naturels, au nombre desquels il faut mettre le fonds de terre, en créent bien une partie ; mais je considère, ainsi qu’il a été dit au Livre I, cet agent comme un outil dont l’action fait du propriétaire de l’instrument qui produit, un producteur indirect ; de même que le capitaliste est considéré comme producteur de la portion de valeur produite par son capital. Il ne faut pas faire la guerre à mes expressions : du moment que je les explique, c’est l’idée qu’il faut attaquer, si elle ne représente pas fidèlement la marche des faits.
  2. On a quelquefois appelé revenu d’une nation, le montant de ses contributions. Cette expression n’est pas exacte. Les particuliers paient leurs contributions avec leur revenu ; mais les contributions ne sont pas un revenu. Elle sont un tribut imposé sur les revenus, et malheureusement quelquefois sur les capitaux.