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LIVRE SECOND. — CHAPITRE V.

sous le nom d’intérêt, le profit que ce capital est capable de rendre.

La portion retirée par les industrieux se nomme le profit de l’industrie. Parmi les industrieux, les uns sont de simples salariés qui reçoivent chaque jour, chaque semaine, chaque année, d’après une convention faite d’avance, la part qu’ils ont pu obtenir des valeurs produites. Les autres sont des entrepreneurs qui achètent et consomment les services productifs, et sont remboursés par la vente des produits, ou des portions de produits, qu’ils ont entrepris de créer à leurs frais et à leur profit[1].

Un entrepreneur possède communément en propre le capital, ou tout au moins une portion du capital qui sert à ses avances. Aussi les économistes anglais confondent-ils presque toujours, sous le nom de profit, le revenu que l’entrepreneur obtient de son industrie, de son talent, et celui qu’il doit à son instrument, au capital. Cette analyse imparfaite jette souvent de l’obscurité dans leurs écrits, et les empêche de présenter une fidèle image des faits[2].

  1. Dans l’exemple de la montre, plusieurs ouvriers sont eux-mêmes les entrepreneurs de leur propre industrie ; ils tirent un profit, et non pas un salaire. Celui, par exemple, qui ne fait que les chaînettes du mouvement des montres, achète l’acier brut, le travaille, et vend son produit. Il est entrepreneur de chaînettes de montre. Un autre est fabricant de boîtes.

    Une fileuse de lin achète pour quelques sous de filasse, la file, convertit son fil en argent. Une portion de cet argent achète de nouvelle filasse ; c’est son capital. Une autre portion achète les denrées qui satisfont à ses besoins ; ce sont les profits de son industrie et de son petit capital : ce qui compose son revenu.

  2. Dans la même ville, lorsque deux manufactures s’occupent de la même espèce de produits et disposent d’un capital semblable, si l’une d’elles, conduite avec beaucoup plus d’ordre, d’intelligence, d’activité que l’autre, rapporte 20 pour cent de son capital, et la seconde à peine 5 pour cent, n’est-il pas évident que la supériorité d’un de ces profits sur l’autre, est due à la supériorité des talens industriels de l’entrepreneur, et non à son capital ? Adam Smith (liv. I, ch. 8), et après lui la plupart des économistes anglais, se sont jetés dans de fort grands embarras pour vouloir expliquer les profits de l’industrie en les confondant avec les profits du fonds capital. Il est essentiel de les distinguer quand on remonte à la source des revenus. M. Thomas Tooke, celui des écrivains anglais qui a analysé avec le plus de sagacité les causes de la variation des prix, l’a fort bien senti. « M. Say, dit-il dans une publication récente, distingue ce qu’il appelle profits industriels des profits des capitaux, et nos économistes gagneraient à adopter cette classification. » (Considerations on the state of the Currency, 1826, p. 15). On trouvera une autre note sur le même sujet, liv. II, ch. 8, § 2.