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LIVRE SECOND. — CHAPITRE III.

que l’argent baisserait de prix, et que l’on pourrait en obtenir davantage en donnant en échange moins de travail et moins de tout autre produit, la demande qu’on en ferait deviendrait bien plus considérable ; on en consommerait plus en ustensiles ; il en faudrait une plus grande quantité pour faire des sommes de monnaie de même valeur.

Ce n’est pas tout. Les nations qui se croient complètement civilisées peuvent le devenir davantage ; une population plus nombreuse, une production plus active, rendent nécessaire une plus grande quantité de métaux précieux. Des contrées désertes se peupleront d’habitans ; des hordes sauvages deviendront des nations policées ; et le marché qui absorbe l’or et l’argent, déjà si vaste, deviendra d’année en année, de siècle en siècle, plus étendu.

Néanmoins ces progrès, faciles à prévoir, peuvent ne pas marcher d’un pas aussi rapide que la production des mines. M. de Humboldt[1] estime que les mines réunies de l’Amérique, de l’Europe et de l’Asie, fournissent annuellement 19,126 kilogrammes d’or pur, et 869,960 kilogrammes d’argent pur. Ces deux quantités, réduites en notre monnaie, feraient une somme de 259,202,888 francs ; d’où il convient de déduire ce qui est détruit tous les ans par la consommation et par l’usure ; car pour ce qui est des métaux précieux employés pour faire des ustensiles, ils ne sont pas détruits ; la matière d’un plat d’argent peut servir à en faire un autre : l’or même des broderies et des galons se retrouve en partie par la fonte. En songeant combien les matières d’or et d’argent sont durables par nature, et combien les hommes, à quelque titre qu’ils s’en trouvent possesseurs, sont intéressés à ménager des objets si précieux, on trouvera peut-être que c’est accorder beaucoup à la déperdition qui s’en fait annuellement, que la porter à 59 millions. À ce compte, néanmoins, chaque année verrait s’accroître de plus de deux cents millions de francs, la quantité de métaux précieux répandus dans la grande société du genre humain, quantité que les progrès des diverses nations du globe devraient absorber chaque année, pour que le prix des métaux précieux ne déclinât pas.

Il paraît que tel n’a pas été le cas, puisqu’ils ont décliné. Déjà, dans le cours des siècles précédens, le gouvernement espagnol, tandis qu’il dominait encore sur le Mexique et le Pérou, a été forcé de baisser successivement les droits qu’il prélevait sur les métaux précieux. Quand il ne

  1. Essai politique sur la Nouvelle-Espagne, t. IV, page 220.