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LIVRE SECOND. — CHAPITRE III.

différence ne vienne pas en partie de l’imperfection des bases sur lesquelles nous nous sommes appuyés, à défaut de meilleures ; néanmoins, après tous les pillages qui suivirent l’invasion de l’empire romain et les destructions qui en résultèrent, après l’abandon probable des mines de l’Attique et de l’Espagne pendant six ou sept cents ans, après les spoliations commises par les normands d’un côté et par les arabes de l’autre, avec la déperdition constante subie par les ustensiles d’argent, l’argent tombé dans les rivières et dans la mer, celui qui fut caché sans être retrouvé, etc., peut-on s’étonner que le métal d’argent fût devenu plus rare et plus précieux d’un sixième environ ?

Près de 700 ans plus tard, sous Charles VII, le prix moyen du blé, suivant Dupré de Saint-Maur, étant de 12 sous 10 deniers le setier, et cette somme contenant 328 grains d’argent fin, l’hectolitre revient à 219 grains ; ce qui est 26 grains de moins encore que sous Charlemagne, où le même hectolitre valait 245 grains. Il semble que l’argent est devenu encore un peu plus rare et plus précieux. Mais voici le moment où il va se montrer avec une abondance que rien ne pouvait faire présager, et produire des effets qui surprenaient les gouvernemens et le vulgaire, sans que les uns plus que les autres fussent en état de les expliquer.

L’Amérique fut découverte en 1492. Les premières dépouilles des peuples du Mexique et du Pérou, apportées en Europe, y firent paraître des quantités d’or et d’argent trop peu considérables pour en affecter sensiblement la valeur durant quelques années, mais par cela même fort profitables pour les aventuriers espagnols et leur gouvernement, parce qu’ils en tirèrent parti au plus haut terme de leur valeur. Bientôt les entrailles des cordilières furent déchirées par les malheureux péruviens ; et chaque année de nouveaux galions, lestés par les trésors du nouveau-monde, arrivaient dans les ports espagnols, sans compter ce qui se répandait de métaux précieux par la contrebande.

C’est par les dépenses que firent les conquérans de ces trésors qu’ils se répandirent dans l’Europe et dans le monde.

Déjà, en 1514, le setier de blé étant à 26 sous, et le marc d’argent fin à 12 livres tournois, on donnait 333 grains d’argent pour la quantité de froment contenue dans ce que nous appelons maintenant un hectolitre[1].

  1. Le setier de blé est compté pour peser 240 liv., poids de marc, et l’hectolitre 160 livres. Le rapport entre ces deux mesures et, à très-peu de chose près, comme 3 à 2.