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LIVRE SECOND. — CHAPITRE II.

sommateurs, et n’altère point les revenus des producteurs. Le fabricant de bas, qui fournit deux paires au lieu d’une pour six francs, a autant de profit sur cette somme qu’il en aurait eu si c’eût été le prix d’une seule paire. Le propriétaire foncier reçoit le même fermage lorsqu’un meilleur assolement multiplie les produits de sa terre et en fait baisser le prix. Et lorsque, sans augmenter les fatigues d’un manouvrier, je trouve le moyen de doubler la quantité d’ouvrage qu’il exécute, le manouvrier gagne toujours la même journée, quoique le produit devienne moins cher.

Nous trouvons là-dedans l’explication et la preuve d’une vérité qu’on ne sentait que bien confusément, et qui même était contestée par plusieurs sectes et par un grand nombre d’écrivains : c’est qu’un pays est d’autant plus riche et mieux pourvu, que le prix des denrées y baisse davantage[1].

Mais je suppose qu’on insiste, et que, pour mettre à l’épreuve la justesse du principe, on pousse la supposition à l’extrême : si d’économies en économies, dira-t-on, les frais de production se réduisaient à rien, il est clair qu’il n’y aurait plus ni rente pour les terres, ni intérêts pour les capitaux, ni profits pour l’industrie : dès-lors plus de revenus pour les producteurs. Dans cette supposition, je dis qu’il n’y aurait plus même de producteurs. Nous serions, relativement à tous les objets de nos besoins, comme nous sommes relativement à l’air, à l’eau, que nous consommons sans que personne soit obligé de les produire, et sans que nous soyons obligés de les acheter. Tout le monde est assez riche pour payer ce que

  1. Dupont de Nemours (Physiocratie, page 117) dit : « Qu’on ne croie pas que le bon marché des denrées est profitable au menu peuple ; car le bas prix des denrées fait baisser le salaire des gens du peuple, diminue leur aisance, leur procure moins de travail et d’occupations lucratives. » Le raisonnement et les faits prouvent précisément le contraire. Une baisse dans les salaires, qui ne provient que d’une baisse dans les denrées, ne diminue point l’aisance des ouvriers ; et la baisse des salaires, permettant à l’entrepreneur de produire à moins de frais, favorise puissamment le débit des produits du travail.

    Melon, Forbonnais, et tous les écrivains du système exclusif, ou de la balance du commerce, sont en ceci d’accord avec les économistes pour se tromper.

    M. de Sismondi a reproduit les mêmes erreurs dans ses Nouveaux principes d’Économie politique, liv. IV, chap. 8, où il regarde la baisse du prix des produits comme un profit fait sur le producteur par le consommateur ; il ne fait pas attention que le producteur, l’ouvrier compris, ne perd rien à donner à meilleur marché s’il a moins de frais à faire.