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DE LA DISTRIBUTION DES RICHESSES.

Que si l’on demandait où se puise cette augmentation de jouissances et de richesses qui ne coûte rien à personne, je répondrais que c’est une conquête faite par l’intelligence de l’homme sur les facultés productrices et gratuites de la nature. Tantôt c’est l’emploi d’une force qu’on laissait se perdre sans fruit, comme dans les moulins à eau, à vent, dans les machines à vapeur ; tantôt c’est un emploi mieux entendu des forces dont nous disposions déjà, comme dans les cas où une meilleure mécanique nous permet de tirer un plus grand parti des hommes et des animaux. Un négociant qui, avec le même capital, trouve le moyen de multiplier ses affaires, ressemble à l’ingénieur qui simplifie une machine, ou la rend plus productive.

La découverte d’une mine, d’un animal, d’une plante qui nous fournissent une utilité nouvelle, ou bien remplacent avec avantage des productions plus chères ou moins parfaites, sont des conquêtes du même genre ; on a perfectionné les moyens de produire, on a obtenu sans plus de frais des produits supérieurs, et par conséquent une plus grande dose d’utilité, lorsqu’on a remplacé la teinture du pastel par l’indigo, le miel par le sucre, la pourpre par la cochenille.

Dans tous ces perfectionnemens et dans tous ceux que l’avenir suggèrera, il est à remarquer que les moyens dont l’homme dispose pour produire, devenant réellement plus puissans, la chose produite augmente toujours en quantité, à mesure qu’elle diminue en valeur. On verra tout à l’heure les conséquences qui dérivent de cette circonstance[1].

La baisse réelle peut être générale, et affecter tous les produits à la fois, comme elle peut être partielle, et n’affecter que certaines choses seulement. C’est ce que je tâcherai de faire comprendre par des exemples.

  1. Depuis une centaine d’années, les progrès de l’industrie, dus au progrès de l’intelligence humaine, et surtout à une connaissance plus exacte de la nature, ont procuré aux hommes d’immenses économies dans l’art de produire ; mais en même temps les hommes ont été trop retardés dans les sciences morales et politiques, et surtout dans l’art de l’organisation des sociétés, pour tirer parti, à leur profit, de ces découvertes. On aurait tort de croire néanmoins que les nations n’en ont nullement profité. Elles paient, à la vérité, des contributions doubles, triples, quadruples, de ce qu’elles payaient ; mais cependant la population de tous les états de l’Europe s’est accrue ; ce qui prouve qu’une partie du moins de cet accroissement de produit, a tourné au profit des peuples ; et non-seulement la population s’est accrue, mais l’on est généralement mieux pourvu, mieux logé, mieux vêtu, et, je crois, moins frugalement nourri, qu’on ne l’était il y a un siècle.