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DE LA DISTRIBUTION DES RICHESSES.

tiennent à des causes qu’il faudrait assigner. Si l’on rejette dans les exceptions les avantages qu’un producteur retire de la supériorité de son jugement, de son talent ou bien des circonstances plus ou moins favorables dans lesquelles agissent ses terres et ses capitaux, alors les exceptions l’emporteront sur la règle ; celle-ci se trouvera contredite tantôt dans un point, tantôt dans un autre ; ses hypothèses ne représenteront jamais un fait réel ; elle ne sera jamais applicable ; elle n’aura aucune utilité[1].

Les rétributions obtenues par les services productifs forment les revenus des producteurs, et je mets au nombre des producteurs les hommes qui concourent à la production par le moyen de leurs capitaux et de leurs terres, de même que ceux qui y contribuent par leurs travaux. Les circonstances diverses qui influent sur ces revenus déterminent les proportions suivant lesquelles les richesses produites sont distribuées dans la société. Elles seront l’objet de notre étude dans ce livre II.

Je les ferai précéder de quelques considérations sur la manière dont s’opère cette distribution, et j’examinerai ensuite l’influence qu’elle exerce sur la population des états.

Quant aux richesses que les hommes acquièrent sans avoir concouru, directement ou indirectement, à une production quelconque, un homme n’en peut jouir qu’au détriment d’un autre, de même qu’il jouit des gains du jeu, et de tous les biens que la fraude ou l’adresse obtiennent aux dépens d’autrui. De telles acquisitions ne contribuent en rien au maintien de la société, puisqu’elles ravissent autant de ressources d’un côté qu’elles en procurent d’un autre, et même elles en procurent moins qu’elles n’en ravissent, ainsi qu’on a pu le voir, et qu’on le verra dans plusieurs parties de cet ouvrage.

  1. L’économie politique n’est une science qu’en tant qu’elle fait connaître les lois générales qu’on observe dans l’économie des sociétés. Les lois générales sont l’expression commune qui convient à plusieurs faits particuliers ; elles ne peuvent conséquemment être déduites que de l’observation des faits particuliers. Pour avancer la science, il faut donc voir des faits nouveaux ou mieux caractériser les faits connus ; il faut rattacher des conséquences naturelles à des causes réelles, ou remonter d’un phénomène bien observé à une cause naturelle. Mais ce n’est pas avancer la science que fonder un principe absolu sur un raisonnement abstrait. On peut disputer pendant des siècles sur de pareils principes, comme on l’a fait sur la grâce, sans établir une seule vérité.