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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

nière de s’acquitter. C’est une pure folie. Une lettre de change n’a aucune valeur intrinsèque. On ne tire une lettre de change sur une ville qu’autant que la somme vous est due dans cette ville, et la somme ne vous y est due qu’autant que vous y avez fait parvenir une valeur réelle équivalente. Ainsi les importations d’un état ne peuvent être soldées que par des exportations, et réciproquement. Les lettres de change ne sont que le signe de ce qui est dû : c’est-à-dire, que les négocians d’un pays ne peuvent tirer des lettres de change sur ceux d’un autre pays, que pour le montant des marchandises, l’or et l’argent compris, qu’ils y ont envoyées directement ou indirectement. Si un pays, la France, par exemple, a envoyé dans un autre pays, comme l’Allemagne, des marchandises pour une valeur de dix millions, et que l’Allemagne nous en ait envoyé pour douze millions, nous pouvons nous acquitter jusqu’à concurrence de dix millions avec des lettres de change représentant la valeur de ce que nous avons envoyé ; mais nous ne saurions nous acquitter de la même manière des deux millions qui restent, à moins que ce ne soit en lettres de change sur un troisième pays, sur l’Italie, par exemple, où nous aurions envoyé des marchandises pour une valeur équivalente.

Il y a, à la vérité, des traites que les banquiers appellent papier de circulation, dont le montant ne représente aucune valeur réelle. Un négociant de Paris s’entend avec un négociant de Hambourg, et fournit sur lui des lettres de change, que ce dernier acquitte en vendant à son tour à Hambourg des lettres de change sur son correspondant de Paris. Tout le temps que ces traites ont été entre les mains d’un tiers, cette tierce personne a fait l’avance de leur valeur. Négocier des lettres de change de circulation est une manière d’emprunter, et une manière assez coûteuse ; car elle force à payer, outre l’escompte, c’est-à-dire, la perte que subit ce papier en raison de l’éloignement de son échéance, une autre perte résultant de la commission du banquier, du courtage et des autres frais de cette opération. De semblables lettres de change ne peuvent en aucune manière solder les dettes d’un pays envers un autre : les traites sont réciproques et se balancent mutuellement. Celles de Hambourg doivent égaler celles de Paris, puisqu’elles doivent servir à les payer ; les secondes détruisent les premières, et le résultat est nul.

On voit qu’un pays n’a de moyen de s’acquitter envers un autre, qu’en lui envoyant des valeurs réelles, c’est-à-dire des marchandises (et sous cette dénomination, je comprends toujours les métaux précieux) pour une valeur égale à celle qu’il en a reçue. S’il n’envoie pas directement