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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XXVII.

plus qu’une maison qui vaudrait à présent 10,000 écus. Une maison de 20,000 francs en Basse-Bretagne, a plus de valeur qu’une maison de 20,000 francs à Paris ; de même qu’un revenu de 10,000 francs en basse-Bretagne, est bien plus considérable qu’un revenu de pareille somme à Paris.

C’est ce qui rend impossible la comparaison qu’on a quelquefois tenté de faire des richesses de deux époques ou de deux nations différentes. Ce parallèle est la quadrature du cercle de l’économie politique, parce qu’il n’y a point de mesure commune pour l’établir.

L’argent, et même la monnaie, de quelque matière qu’elle soit composée, n’est qu’une marchandise dont la valeur est variable, comme celle de toutes les marchandises, et se règle à chaque marché qu’on fait, par un accord entre le vendeur et l’acheteur.

L’argent vaut plus quand il achète beaucoup de marchandises que lorsqu’il en achète peu. Il ne peut donc faire les fonctions d’une mesure, qui consiste à conserver l’idée d’une grandeur. Ainsi, lorsque Montesquieu a dit en parlant des monnaies : « Rien ne doit être si exempt de variations que ce qui doit être la mesure commune de tout[1] », il a renfermé trois erreurs en deux lignes. D’abord on ne peut pas prétendre que la monnaie soit la mesure de tout, mais de toutes les valeurs ; en second lieu, elle n’est pas même la mesure des valeurs ; et, enfin, il est impossible de rendre sa valeur invariable. Si Montesquieu voulait engager les gouvernemens à ne pas altérer les monnaies, il devait employer de bonnes raisons, parce qu’il y en a, et non des traits brillans qui trompent et accréditent de fausses idées. Cependant il serait bien souvent curieux, et dans certain cas, il serait utile de pouvoir comparer deux valeurs séparées par les temps et par les lieux, comme dans les cas où il s’agit de stipuler un paiement à effectuer au loin, ou bien une rente qui doit durer de longues années.

Smith propose la valeur du travail comme moins variable, et par conséquent plus propre à donner la mesure des valeurs dont on est séparé : et voici les raisons sur lesquelles il se fonde :

« Deux quantités de travail, dit-il, quel que soit le temps, quel que soit le lieu, sont d’égale valeur pour celui qui travaille. Dans l’état ordinaire de sa santé et de son courage, de son aptitude et de sa dextérité, l’avance qu’il fait, dans les deux cas, de sa peine, doit être pour lui la même. Le prix qu’il paie est donc le même, quelle que soit la

  1. Esprit des Lois, liv. XXII, chap. 3.