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DISCOURS

Ce que personne n’a refusé aux économistes, et ce qui suffit pour leur donner des droits à la reconnaissance et à l’estime générales, c’est que leurs écrits ont tous été favorables à la plus sévère morale et à la liberté que chaque homme doit avoir de disposer à son gré de sa personne, de ses talens et de ses biens, liberté sans laquelle le bonheur individuel et la prospérité publique sont des mots vides de sens. Je ne crois pas qu’on puisse compter parmi eux un homme de mauvaise foi ni un mauvais citoyen.

C’est sans doute pour cette raison que presque tous les écrivains français de quelque réputation, et qui se sont occupés de matières analogues à l’économie politique depuis l’année 1760, sans marcher positivement sous les bannières des économistes, se sont néanmoins laissé dominer par leurs opinions ; tels que Raynal, Condorcet et plusieurs autres. On peut même compter parmi eux Condillac, quoiqu’il ait cherché à se faire un système particulier sur une matière qu’il n’entendait pas. Il y a quelques bonnes idées à recueillir parmi le babil ingénieux de son livre[1] ; mais, comme les économistes, il fonde presque toujours un principe sur une supposition gratuite, et il en fait l’aveu dans sa préface ; or, une supposition peut bien servir d’exemple pour expliquer ce que démontre le raisonnement appuyé sur l’expérience, mais ne suffit pas pour établir une vérité fondamentale. L’économie politique n’est devenue une science qu’en devenant une science d’observation.

Turgot était trop bon citoyen pour ne pas estimer sincèrement d’aussi bons citoyens que les économistes ; et lorsqu’il fut puissant, il crut utile de les soutenir. Ceux-ci à leur tour

  1. Du Commerce et du Gouvernement considérés l’un relativement à l’autre.