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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

venir des fruits excellents dans des contrées sablonneuses, qui, par leurs soins, devinrent des potagers admirables. »

Mais si l’expatriation accompagnée d’industrie, de capitaux et d’affection, est un pur gain pour la patrie adoptive, nulle perte n’est plus fâcheuse pour la patrie abandonnée. La reine Christine de Suède avait bien raison de dire, à l’occasion de la révocation de l’édit de Nantes, que Louis XIV s’était coupé le bras gauche avec son bras droit.

Et qu’on ne croie pas que des lois coërcitives puissent prévenir ce malheur. On ne retient point un concitoyen par force, à moins de le mettre en prison ; ni sa fortune, à moins de la confisquer. Sans parler de la fraude qu’il est souvent impossible d’empêcher, ne peut-il pas convertir ses propriétés en marchandises dont la sortie est tolérée, encouragée, et les adresser ou les faire adresser au dehors ? Cette exportation n’est-elle pas une perte réelle de valeur ? Quel moyen un gouvernement a-t-il pour deviner qu’elle n’entraînera point de retour[1] ?

La meilleure manière de retenir les hommes et de les attirer, c’est d’être juste et bon envers eux, et d’assurer à tous la jouissance des droits qu’ils regardent comme les plus précieux : la libre disposition de leurs personnes et de leurs biens, la faculté d’exercer leur industrie, d’aller, de venir, de rester, de parler, de lire et d’écrire avec une entière sûreté.

Après avoir examiné nos moyens de production, après avoir indiqué les circonstances où ils agissent avec plus ou moins de fruit, ce serait une tâche immense, et qui sortirait de mon sujet, que de passer en revue toutes les différentes sortes de produits dont se composent les richesses de l’homme ; ce peut être l’objet de beaucoup de traités particuliers. Mais dans le nombre de ces produits, il y en a un dont la nature et l’usage ne sont pas bien connus, et pourtant jettent beaucoup de jour sur l’objet qui nous occupe ; c’est ce qui me détermine, avant de finir la première partie de cet ouvrage, à parler des monnaies, qui d’ailleurs jouent un grand

  1. Lorsqu’en 1790, on remboursa en papier-monnaie les titulaires de tous les offices supprimés par le nouveau gouvernement de France, presque tous ces titulaires échangèrent leurs assignats contre des métaux précieux, ou d’autres marchandises d’une valeur réelle, qu’ils emportèrent ou firent passer à l’étranger. La perte qui en résulta pour la France, fut presque aussi grande que si on les eût remboursés en valeur effective, parce que le signe n’avait pas encore subi une grande dépréciation. Il est impossible, même lorsqu’un citoyen n’émigre pas, d’empêcher l’extraction de sa fortune, s’il est bien décidé à la faire passer à l’étranger.