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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XVII.

Je ne dirai rien au sujet des primes d’importation. La plus belle des primes est le haut prix qu’on offre pour les blés et pour les farines dans les pays où il y a disette. Si cette prime de 200 ou 300 pour cent ne suffit pas pour en amener, je ne pense pas qu’aucun gouvernement puisse en offrir qui soient capables de tenter les importateurs.

Les peuples seraient moins exposés aux disettes s’ils mettaient plus de variété dans leurs mets. Lorsqu’un seul produit fait le fonds de la nourriture de tout un peuple, il est misérable du moment que ce produit vient à manquer. C’est ce qui arrive quand le blé devient rare en France, ou le riz dans l’Indostan. Lorsque plusieurs substances jouent un rôle parmi les alimens, comme les viandes de boucherie, les animaux de basse-cour, les racines, les légumes, les fruits, les poissons, sa subsistance est plus assurée, parce qu’il est difficile que toutes ces denrées manquent à la fois[1].

Les disettes seraient plus rares si l’on étendait et perfectionnait l’art de conserver, sans beaucoup de frais, les alimens qui abondent dans certaines saisons et dans certains lieux, comme les poissons : ce qui s’en trouve de trop dans ces occasions, servirait dans celles où l’on en manque. Une très-grande liberté dans les relations maritimes des nations procurerait, sans beaucoup de frais, à celles qui occupent des latitudes tempérées, les fruits que la nature accorde avec tant de profusion à la

  1. La routine, toute-puissante sur les esprits médiocres, qui forment le grand nombre, surtout dans les basses classes, rend fort difficile l’introduction de nouveaux alimens. J’ai vu, dans certaines provinces de France, une répugnance des plus marquées pour manger des pâtes façon d’Italie, qui sont pourtant une excellente nourriture, et qui offrent un fort bon moyen de conserver les farines ; et, sans les disettes qui ont accompagné nos troubles politiques, la culture et l’usage des pommes de terre pour la nourriture des hommes, n’auraient point encore pénétré dans plusieurs cantons où elles sont maintenant d’une grande ressource. Elles réussiraient plus généralement encore, si l’on mettait à leur culture un soin plus soutenu qui les empêchât de dégénérer et surtout si l’on s’imposait la loi de les renouveler régulièrement de graines.