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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

France, la municipalité de Lyon et quelques autres, pour fournir aux besoins de leurs administrés, fesaient acheter du blé dans les campagnes, et le revendaient à perte dans la ville. En même temps elles obtinrent, pour payer les frais de cette opération, une addition aux octrois, aux droits que les denrées payaient en entrant aux portes. La disette augmenta, et il y avait de bonnes raisons pour cela : on n’offrait plus aux marchands qu’un marché où les denrées se vendaient au-dessous de leur valeur, et on leur fesait payer une amende lorsqu’ils les y apportaient[1] !

Plus une denrée est nécessaire, et moins il convient d’en faire tomber le prix au-dessous de son taux naturel. Un renchérissement accidentel du blé est une circonstance fâcheuse, sans doute, mais qui tient à des causes qu’il n’est pas ordinairement au pouvoir de l’homme d’écarter[2]. Il ne faut pas qu’à ce malheur il en ajoute un autre, et fasse de mauvaises lois parce qu’il a eu une mauvaise saison.

Le gouvernement ne réussit pas mieux au commerce d’importation qu’au commerce intérieur. Malgré les énormes sacrifices que le gouvernement et la commune de Paris ont faits en 1816 et 1817, pour approvisionner cette capitale, par des achats faits dans l’étranger, le consommateur a payé le pain à un taux exorbitant ; il n’a jamais eu le poids annoncé, la qualité du pain a été détestable, et finalement on en a manqué[3].

  1. Les mêmes effets sont de tous les lieux comme de tous les temps, lorsqu’en l’année 562 de notre ère, l’empereur Julien fit vendre à Antioche, à bas prix, 420 mille mesures (modii) de blé qu’il tira de Chalcis et Égypte, cette distribution fit cesser les approvisionnemens du commerce, et la disette augmenta. (Voyez Gibbon, ch. 24.) Les principes de l’économie politique n’ont pas changé et ne changeront pas ; mais à une certaine époque on les ignore, à une autre époque on les connaît.

    La capitale de l’empire romain manquait toujours de subsistances quand les princes y cessaient leurs distributions gratuites, aux frais du monde entier ; et c’était par la raison même qu’on y fesait des distributions gratuites, qu’on y manquait de grains.

  2. La guerre est une grande cause de famine, parce qu’elle nuit à la production et gaspille les produits. Il dépendrait de l’homme d’écarter ce fléau ; mais on ne peut se flatter de voir les guerres plus rares, qu’autant que les gouvernans deviendront très-éclairés sur leurs vrais intérêts comme sur ceux du public, et que les peuples n’auront plus l’imbécilité d’attacher de la gloire à des dangers courus sans nécessité.
  3. Je ne fais aucune attention à ces grands mots : Soins paternels, sollicitude bienfaits du gouvernement, qui n’ajoutent jamais rien aux moyens de l’administration, ni au soulagement des peuples. La sollicitude du gouvernement ne peut jamais être mise en doute ; il est intéressé plus que personne à la durée d’un ordre social dont il recueille les principaux fruits ; et, quant à ses bienfaits, on ne peut les vanter sans niaiserie : quels bienfaits peut répandre l’administration, si ce n’est aux dépens des administrés ?