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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XVII.

Ouvrez des communications faciles, et surtout des canaux de navigation, seules communications qui puissent convenir aux denrées lourdes et encombrantes ; donnez toute sécurité aux trafiquans, et laissez-les faire. Ils ne rendront pas copieuse une récolte déficiente, mais ils répartiront toujours ce qui peut être réparti, de la manière la plus favorable aux besoins, comme à la production. C’est sans doute ce qui a fait dire à Smith qu’après l’industrie du cultivateur, nulle n’est plus favorable à la production des blés, que celle des marchands de grains.

Des fausses notions qu’on s’est faites sur la production et le commerce des subsistances, sont nées une foule de lois, de réglemens, d’ordonnances fâcheuses, contradictoires, rendues en tous pays, selon l’exigence du moment, et souvent sollicitées par la clameur publique. Le mépris et le danger qu’on a attirés par là sur les spéculateurs en blé, ont souvent livré ce commerce aux trafiquans du plus bas étage, soit pour les sentimens, soit pour les facultés, et il en est résulté ce qui arrive toujours : c’est que le même trafic s’est fait, mais obscurément, mais beaucoup plus chèrement, parce qu’il fallait bien que les gens à qui il était abandonné, se fissent payer les inconvéniens et les risques de leur industrie.

Lorsqu’on a taxé le prix des grains, on les a fait fuir ou on les a fait cacher. On ordonnait ensuite aux fermiers de les porter au marché ; on prohibait toute vente consommée dans les maisons, et toutes ces violations de la propriété, escortées, comme on peut croire, de recherches inquisitoriales, de violences et d’injustices, ne procuraient jamais que de faibles ressources. En administration comme en morale, l’habileté ne consiste pas à vouloir qu’on fasse, mais à faire en sorte qu’on veuille. Les marchés ne sont jamais garnis de denrées par des gendarmes et des sbires[1].

Quand l’administration veut approvisionner elle-même par ses achats, elle ne réussit jamais à subvenir aux besoins du pays, et elle supprime les approvisionnemens qu’aurait procurés le commerce libre. Aucun négociant n’est disposé à faire, comme elle, le commerce pour y perdre.

Pendant la disette qui eut lieu en 1775 dans diverses parties de la

  1. Le ministre de l’intérieur, dans un rapport fait en décembre 1817, convient que les marchés ne se trouvèrent jamais plus dépourvus qu’après un décret du 4 mai 1812, qui prohibait toute vente faite hors des marchés. Les consommateurs, ne pouvant se pourvoir qu’au marché, s’y précipitaient en foule, et les fermiers, qu’on forçait à vendre au-dessous du cours, prétendaient tous n’avoir rien à vendre.