ché, tout le monde étant intéressé à grossir ses frais, et personne ne l’étant à les diminuer. Qui peut répondre qu’une semblable opération sera conduite comme il convient qu’elle le soit, lorsqu’elle doit être dirigée par une autorité qui n’admet point de contrôle, et où les décisions sont généralement prises par des ministres, par des personnes constituées en dignités, et par conséquent étrangères à la pratique des affaires de ce genre ? Qui peut répondre qu’une terreur panique ne fera pas disposer des approvisionnemens avant le temps prescrit ; ou qu’une entreprise politique, une guerre, ne fera pas changer leur destination ?
Dans un pays vaste et populeux, comme la France, où il y a encore trop peu de ports de mer, de fleuves et de canaux navigables, et où par conséquent les frais de production, dans le commerce des grains, peuvent aisément, dans certaines années, en porter le prix fort au-dessus des facultés du grand nombre, il faut d’autres moyens encore de subvenir aux mauvaises récoltes, que le commerce ordinaire. Il ne faut jamais le contrarier ; mais il lui faut des auxiliaires. On ne peut, je crois, compter sur des réserves suffisantes, faites dans les années d’abondance pour les années de disette, que lorsqu’elles sont faites et conduites par des compagnies de négocians, jouissant d’une grande consistance et disposant de tous les moyens ordinaires du commerce, qui veuillent se charger de l’achat, de la conservation et du renouvellement des blés, suivant des règles convenues et moyennant des avantages qui balancent pour eux les inconvéniens de l’opération. L’opération serait alors sûre et efficace, parce que les contractans donneraient des garanties, et elle coûterait moins au public que de toute autre manière. On pourrait traiter avec diverses compagnies pour les villes principales ; et les villes, étant ainsi, dans les disettes, approvisionnées par des réserves, cesseraient de faire des achats dans les campagnes, qui par là se trouveraient elles-mêmes mieux approvisionnées.
Au surplus les réserves, les greniers d’abondance, ne sont que des moyens subsidiaires d’approvisionnement, et pour les temps de disette seulement. Les meilleurs approvisionnemens et les plus considérables sont toujours ceux du commerce le plus libre. Celui-ci consiste principalement à porter le grain des fermes, jusque dans les principaux marchés ; et ensuite, mais pour des quantités bien moins grandes, à le transporter des provinces où il abonde, dans celles qui en manquent ; comme aussi à l’exporter quand il est à bon marché, et à l’importer lorsqu’il est cher.