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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XVII.

précédemment payé. C’est ainsi qu’en Angleterre, en France, on accorde à l’exportation du sucre raffiné une prime qui n’est au fond que le remboursement des droits d’entrée payés par les cassonnades et par les sucres bruts.

Peut-être un gouvernement fait-il bien encore d’accorder quelques encouragemens à une production, qui, bien que donnant de la perte dans les commencemens, doit pourtant donner évidemment des profits au bout de peu d’années. Smith n’est pas de cet avis.

« Il n’est aucun encouragement, dit-il, qui puisse porter l’industrie d’une nation au-delà de ce que le capital de cette nation peut en mettre en activité. Il ne peut que détourner une portion de capital d’une certaine production pour la diriger vers une autre, et il n’est pas à supposer que cette production forcée soit plus avantageuse à la société, que celle qui aurait été naturellement préférée… L’homme d’état qui voudrait diriger les volontés des particuliers, quant à l’emploi de leur industrie et de leurs capitaux, se chargerait non-seulement d’un inutile soin, mais encore d’un soin qu’il serait très-malheureux de voir confier à un seul homme, à un conseil, quelque sages qu’on veuille les supposer, et qui surtout ne saurait être en de plus mauvaises mains que dans celles d’administrateurs assez fous pour imaginer qu’ils sont capables de le prendre… Quand même la nation, faute de tels réglemens, devrait ne jamais acquérir une certaine branche d’industrie, elle n’en serait pas plus pauvre à l’avenir, elle a pu employer ses capitaux d’une manière plus avantageuse[1] ».

Smith a certainement raison au fond ; mais il est des circonstances qui peuvent modifier cette proposition généralement vraie, que chacun est le meilleur juge de l’emploi de son industrie et de ses capitaux.

Smith a écrit dans un temps et dans un pays où l’on était et où l’on est encore fort éclairé sur ses intérêts, et fort peu disposé à négliger les profits qui peuvent résulter des emplois de capitaux et d’industrie, quels qu’ils soient. Mais toutes les nations ne sont pas encore parvenues au même point. Combien n’en est-il pas où, par des préjugés que le gouvernement seul peut vaincre, on est éloigné de plusieurs excellens emplois de capitaux ! Combien n’y a-t-il pas de villes et de provinces où l’on suit routinièrement les mêmes usages pour les placemens d’argent ! Ici on ne sait placer qu’en rentes hypothéquées sur des terres ; là, qu’en maisons ;

  1. Richesse des Nations, livre IV, chap. 2.