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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XVII.

vement aux marchandises, c’est-à-dire que les marchandises baissent relativement à l’argent ; dès-lors tout le monde est intéressé à exporter des marchandises, et à importer de l’argent.

La peur que l’on conçoit de payer les marchandises étrangères avec des métaux précieux, est une peur frivole. Les métaux précieux ne vont jamais d’un pays dans l’autre pour acquitter de prétendus soldes, mais pour chercher le marché où ils se vendent le plus cher. Il nous convient toujours de consommer les produits que l’étranger fournit meilleurs ou à meilleur compte que nous, bien assurés que nous sommes que l’étranger se paiera par les choses que nous produisons à meilleur compte que lui. Je dis qu’il se paiera ainsi, parce que la chose ne peut se passer d’aucune autre manière.

On a dit (car que n’a-t-on pas dit pour obscurcir toutes ces questions ! ) que la plupart des consommateurs étant en même temps producteurs, les prohibitions, les monopoles leur font gagner, sous cette dernière qualité, ce qu’ils perdent sous l’autre ; que le producteur qui fait un gain-monopole sur l’objet de son industrie, est victime d’un gain de la même espèce fait sur les denrées qui sont l’objet de sa consommation, et qu’ainsi la nation se compose de dupeurs et de dupés qui n’ont plus rien à se reprocher. Et il est bon de remarquer que chacun se croit plutôt dupeur que dupé ; car, quoique chacun soit consommateur en même temps qu’il est producteur, les profits excessifs qu’on fait sur une seule espèce de denrée, celle qu’on produit, sont bien plus sensibles que les pertes multipliées, mais petites, qu’on fait sur mille denrées différentes que l’on consomme. Qu’on mette un droit d’entrée sur les toiles de coton : c’est, pour un citoyen d’une fortune médiocre, une augmentation de dépense de 12 à 15 francs par an, tout au plus ; augmentation de dépense qui n’est même pas, dans son esprit, bien claire et bien assurée, et qui le frappe peu, quoiqu’elle soit répétée plus ou moins sur chacun des objets de sa consommation ; tandis que si ce particulier est fabricant de chapeaux, et qu’on mette un droit sur les chapeaux étrangers, il saura fort bien que ce droit enchérira les chapeaux de sa manufacture, et augmentera annuellement ses profits peut-être de plusieurs milliers de francs.

C’est ainsi que l’intérêt personnel, lorsqu’il est peu éclairé (même en supposant tout le monde frappé dans sa consommation, plus encore que favorisé dans sa production), se déclare en faveur des prohibitions.

Mais, même sous ce point de vue, le système prohibitif est fécond en injustices. Tous les producteurs ne sont pas à portée de profiter du sys-