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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

bord contre cette somme de numéraire que chaque chose s’échange, pour s’échanger de nouveau contre d’autres objets. Or, quelle que soit l’abondance ou la rareté du numéraire, comme on a besoin d’une certaine somme pour consommer tous les échanges, le numéraire augmente en valeur à mesure qu’il décline en quantité, et décline en valeur à mesure qu’il augmente en quantité. S’il y a pour 2 milliards de numéraire en France, et qu’un événement quelconque réduise cette quantité de francs à 1,500 millions, les 1,500 millions vaudront tout autant que les 2 milliards pouvaient valoir. Les besoins de la circulation exigent un agent dont la valeur égale ce que valent actuellement 2 milliards, c’est-à-dire (en supposant le sucre à 20 sous la livre) une valeur égale à 2 milliards de livres de sucre, ou bien (en supposant que le blé vaut actuellement 20 francs l’hectolitre) une valeur égale à celle de 100 millions d’hectolitres de blé. Le numéraire, quelle que sot sa masse, égalera toujours cette valeur. La matière dont se compose le numéraire vaudra, dans le second cas, un tiers de plus que dans le premier ; une once d’argent, au lieu d’acheter six livres de sucre, en achètera huit : il en sera de même de toutes les autres marchandises, et les 1500 millions de numéraire vaudront autant que les 2 milliards valaient auparavant. La nation n’en sera ni plus riche ni plus pauvre. Il faudra porter moins d’argent au marché, et l’argent qu’on y portera y achètera toutes les mêmes choses. Une nation qui, pour agent de la circulation, emploie des monnaies d’or, n’est pas moins riche que celle qui se sert de monnaie d’argent, quoiqu’elle porte au marché une bien moins grande quantité de la marchandise qui lui sert de monnaie. Si l’argent devenait chez nous quinze fois plus rare qu’il n’est, c’est-à-dire aussi rare que l’or, une once d’argent nous servirait, comme numéraire, autant qu’une once d’or nous sert à présent, et nous serions aussi riches en numéraire que nous le sommes. Comme si l’argent devenait aussi abondant que le cuivre, nous n’en serions pas plus riches en numéraire ; seulement il faudrait porter au marché un bien plus grand nombre de sacs.

En résumé, l’abondance des métaux précieux rend plus abondans les ustensiles qui en sont faits, et les nations plus riches sous ce seul rapport. Sous le rapport du numéraire, elle ne les rend pas plus riches[1]. Le vul-

  1. Il résulte même de ce qui précède qu’une nation s’enrichit en exportant du numéraire, parce que la valeur du numéraire qui lui reste, demeure égale à ce qu’elle était, et que la nation reçoit de plus les retours du numéraire qu’elle exporte. D’où vient ce phénomène ? De la propriété particulière à la monnaie de nous servir, non par ses qualités physiques, mais seulement de sa valeur. Si j’ai moins de blé, j’ai moins de quoi manger ; si j’ai moins de numéraire, il me sert autant, parce que sa valeur augmente, et que sa valeur suffit aux usages que j’en fais.

    Il résulterait de cette vérité, qui n’a pas été remarquée, que les gouvernemens (en admettant qu’ils dussent se mêler de ces choses-là) devraient faire précisément le contraire de ce qu’ils font, c’est-à-dire encourager la sortie en numéraire sans que sa valeur ne hausse. Quand sa valeur hausse, c’est alors que les marchandises sont à bas prix, et qu’il convient au commerce d’importer du numéraire et d’exporter des marchandises ; ce qui entretient en chaque pays, et malgré les réglemens, à peu près la quantité de métaux précieux que réclament tous les besoins du pays.