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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

au contraire, avec facilité, des fruits, des céréales, que leur poids et leur volume ne permettent pas de tirer de bien loin. Lorsque nous condamnons nos terres à nous donner ce qu’elles produisent avec désavantage, aux dépens de ce qu’elles produisent plus volontiers ; lorsque nous achetons par conséquent fort cher ce que nous paierions à fort bon marché si nous le tirions des lieux où il est produit avec avantage, nous devenons nous-mêmes victimes de notre propre folie. Le comble de l’habileté est de tirer le parti le plus avantageux des forces de la nature, et le comble de la démence est de lutter contre elles ; car c’est employer nos peines à détruire une partie des forces que la nature voudrait nous prêter.

On dit encore qu’il vaut mieux payer plus cher un produit, lorsque son prix ne sort pas du pays, que de le payer moins cher lorsqu’il faut l’acheter au dehors. Mais qu’on se reporte aux procédés de la production que nous avons analysés : on y verra que les produits ne s’obtiennent que par le sacrifice, la consommation d’une certaine quantité de matières et de services productifs, dont la valeur est, par ce fait, aussi complètement perdue pour le pays que si elle était envoyée au dehors[1].

Je ne présume pas qu’un gouvernement quelconque veuille objecter ici que le profit résultant d’une meilleure production lui est indifférent, puisqu’il devient le partage des particuliers ; les plus mauvais gouvernemens, ceux qui séparent leurs intérêts des intérêts de la nation, savent maintenant que les revenus des particuliers sont la source où se puisent

  1. On verra également plus loin, dans ce même chapitre, que l’achat des produits au dehors donne à la production intérieure précisément le même encouragement que l’achat des produits de l’intérieur. Dans l’exemple qui nous occupe, je suppose qu’on eût planté et recueilli du vin au lieu de sucre de betteraves ou d’indigo de pastel, on eût par là encouragé au même degré l’industrie agricole et intérieure ; mais comme on aurait sollicité un produit plus analogue au climat, avec la quantité de vin produite, on aurait obtenu par le commerce, fût-ce même par l’intermédiaire du commerce des ennemis, plus de sucre ou d’indigo des iles que n’en a produit notre terrain. Le sucre et l’indigo des iles, obtenus en échange de nos vins, auraient, en résultat, été produits sous forme de vin dans nos terres ; seulement la même quantité de terre en aurait donné de meilleurs et de plus abondans : du reste, l’encouragement de l’industrie intérieure aurait été le même ; il eût été supérieur, parce qu’un produit supérieur en valeur paie plus amplement le service des terres, des capitaux, de l’industrie, employés à sa production.