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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

Le meilleur des encouragemens pour la circulation utile, est le désir que chacun a, surtout les producteurs, de ne perdre que le moins possible l’intérêt des fonds engagés dans l’exercice de leur industrie. La circulation est pénible là où une industrie imparfaite ne sait créer que des produits de peu d’usage ou trop chers, là où des impôts lourds et nombreux renchérissent les produits et obligent la plupart des consommateurs à s’en passer. Elle se ralentit bien plutôt par les contrariétés qu’elle éprouve, que par le défaut d’encouragement qu’elle reçoit. Ce sont les guerres, les embargos, les droits pénibles à acquitter, le danger ou la difficulté des communications qui l’entravent. Elle est lente encore dans les momens de crainte et d’incertitude, quand l’ordre public est menacé, et que toute espèce d’entreprise est hasardeuse. Elle est lente quand on se croit exposé aux contributions arbitraires, et que chacun s’efforce de cacher ses facultés. Elle est lente dans un temps d’agiotage, où les variations subites occasionnées par le jeu sur les marchandises, font espérer à quelques personnes un bénéfice fondé sur une simple variation dans les prix ; alors la marchandise attend à l’affût d’une hausse, l’argent à l’affût d’une baisse : des deux parts ; capitaux oisifs, inutiles à la production.

À de telles époques, il n’existe guère de circulation que celle des produits qui risqueraient de se détériorer dans l’attente, comme les fruits, les légumes, les grains, et tout ce qui se gâte à être gardé. On aime mieux alors passer par-dessus les inconvéniens attachés à la vente, que risquer de perdre une portion considérable, et quelquefois la totalité des denrées qu’on possède. Et quand c’est la monnaie qui se détériore, on cherche à l’échanger, à s’en défaire par toutes sortes de moyens. C’est en partie ce motif qui fut cause de la prodigieuse circulation qui eut lieu pendant que le discrédit des assignats allait en croissant. Tout le monde était ingénieux à trouver un emploi pour un papier-monnaie dont la valeur s’évaporait d’heure en heure : on ne le recevait que pour le placer ; il semblait qu’il brûlât quiconque le touchait. Dans ce temps-là des personnes qui n’avaient jamais fait le commerce, s’en mêlèrent ; on fonda des manufactures, on bâtit, on répara des maisons, on meubla ses appartemens ; on n’avait regret à aucune dépense, même pour ses plaisirs, jusqu’à ce qu’enfin on eut achevé de consommer, ou de placer, ou de perdre tout ce qu’on avait de valeurs sous forme d’assignats.