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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XV.

tion des produits étrangers est favorable à la vente des produits indigènes ; car nous ne pouvons acheter les marchandises étrangères qu’avec des produits de notre industrie, de nos terres et de nos capitaux, auxquels ce commerce par conséquent procure un débouché. — C’est en argent, dira-t-on, que nous payons les marchandises étrangères. — Quand cela serait, notre sol ne produisant point d’argent, il faut acheter cet argent avec des produits de notre industrie ; ainsi donc, soit que les achats qu’on fait à l’étranger soient acquittés en marchandises ou en argent, ils procurent à l’industrie nationale des débouchés pareils.

Par une quatrième conséquence du même principe, la consommation pure et simple, celle qui n’a d’autre objet que de provoquer de nouveaux produits, ne contribue point à la richesse du pays. Elle détruit d’un côté ce qu’elle fait produire d’un autre côté. Pour que la consommation soit favorable, il faut qu’elle remplisse son objet essentiel, qui est de satisfaire à des besoins. Lorsque Napoléon exigeait qu’on parût à sa cour avec des habits brodés, il causait à ses courtisans une perte égale, tout au moins, aux gains qu’il procurait à ses brodeurs. C’était pis encore lorsqu’il autorisait par des licences un commerce clandestin avec l’Angleterre, à la charge d’exporter en marchandises françaises une valeur égale à celle qu’on voulait importer. Les négocians qui fesaient usage de ces licences, chargeaient sur leurs navires des marchandises qui, ne pouvant être admises de l’autre côté du détroit, étaient jetées à la mer en sortant du port. Le gouvernement, tout-à-fait ignorant en économie politique, s’applaudissait de cette manœuvre comme étant favorable à nos manufactures. Mais quel en était l’effet réel ? Le négociant, obligé de perdre la valeur entière des marchandises françaises qu’il exportait, vendait en conséquence le sucre et le café qu’il rapportait d’Angleterre, le consommateur français payait le montant des produits dont il n’avait pas joui. C’était comme si, pour encourager les fabriques, on avait acheté, aux dépens des contribuables, les produits manufacturés pour les jeter à la mer[1].

Pour encourager l’industrie, il ne suffit pas de la consommation pure et

  1. L’Anglais ne demandait pas mieux que de vendre à bon compte ses denrées coloniales à la France. Il convenait de laisser faire, quoiqu’en guerre. Alors les Français, au lieu de dépenser 50 millions en sucre, n’en auraient dépensé que 23, et il leur serait resté 23 millions annuellement pour acheter les marchandises françaises qu’on jetait à la mer ; la même production aurait eu lieu, et il n’y aurait eu de perte pour personne.