Page:Say - Traité d’économie politique.djvu/145

Cette page a été validée par deux contributeurs.
144
LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XV.

Une seconde conséquence du même principe, c’est que chacun est intéressé à la prospérité de tous, et que la prospérité d’un genre d’industrie est favorable à la prospérité de tous les autres. En effet, quels que soient l’industrie qu’on cultive, le talent qu’on exerce, on en trouve d’autant mieux l’emploi, et l’on en tire un profit d’autant meilleur, qu’on est plus entouré de gens qui gagnent eux-mêmes. Un homme à talent, que vous voyez tristement végéter dans un pays qui décline, trouverait mille emplois de ses facultés dans un pays productif, où l’on pourrait employer et payer sa capacité. Un marchand, placé dans une ville industrieuse et riche, vend pour des sommes bien plus considérables que celui qui habite un canton pauvre où dominent l’insouciance et la paresse. Que feraient un actif manufacturier, un habile négociant dans une ville mal peuplée et mal civilisée de certaines portions de l’Espagne ou de la Pologne ? Quoiqu’il n’y rencontrât aucun concurrent, il y vendrait peu, parce qu’on y produit peu ; tandis qu’à Paris, à Amsterdam, à Londres, malgré la concurrence de cent marchands comme lui, il pourra faire d’immenses affaires. La raison en est simple : il est entouré de gens qui produisent beaucoup dans une multitude de genres, et qui font des achats avec ce qu’ils ont produit, c’est-à-dire, avec l’argent provenant de la vente de ce qu’ils ont produit.

Telle est la source des profits que les gens des villes font sur les gens des campagnes, et que ceux-ci font sur les premiers : les uns et les autres ont d’autant plus de quoi acheter qu’ils produisent davantage. Une ville entourée de riches campagnes, y trouve de nombreux et riches acheteurs, et dans le voisinage d’une ville opulente, les produits de la campagne ont bien plus de valeur. C’est par une distinction futile qu’on classe les nations en nations agricoles, manufacturières et commerçantes. Si une nation réussit dans l’agriculture, c’est une raison pour que ses manufactures et son commerce prospèrent ; si ses manufactures et son commerce sont florissans, son agriculture s’en trouvera mieux[1].

  1. Tout grand établissement productif vivifie tout son voisinage. « Au Mexique, les champs les mieux cultivés, ceux qui rappellent à l’esprit du voyageur les plus belles campagnes de la France, sont les plaines qui s’étendent de Salamanca jusque vers Silao, Guanaxuato et Villa de Léon, et qui entourent les mines les plus riches du monde connu. Partout où les filons métalliques ont été découverts, dans les parties les plus incultes des Cordillères, sur des plateaux isolés et déserts, l’exploitation des mines, bien loin d’entraver la culture du sol, l’a singulièrement favorisée… La fondation d’une ville suit immédiatement la découverte d’une mine considérable… Des fermes s’établissent autour, et une mine qui paraissait d’abord isolée au milieu des montagnes désertes et sauvages, se rattache en peu de temps aux terres anciennement labourées. » (Humboldt, Essai politique sur la Nouvelle-Espagne.)