Page:Say - Traité d’économie politique.djvu/140

Cette page a été validée par deux contributeurs.
139
DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

il achètera d’autant plus qu’il aura produit davantage. Il ne pourra rien acheter, s’il ne produit rien.

« Vous-mêmes, vous n’êtes mis à même de lui acheter son froment et ses laines, qu’autant que vous produisez des étoffes. Vous prétendez que c’est de l’argent qu’il vous faut : je vous dis, moi, que ce sont d’autres produits. En effet, pourquoi désirez-vous cet argent ? N’est-ce pas dans le but d’acheter des matières premières pour votre industrie, ou des comestibles pour votre bouche[1] ? Vous voyez bien que ce sont des produits qu’il vous faut, et non de l’argent. La monnaie d’argent qui aura servi dans la vente de vos produits, et dans l’achat que vous aurez fait des produits d’un autre, ira, un moment après, servir au même usage entre deux autres contractans ; elle servira ensuite à d’autres ; et à d’autres encore, sans fin : de même qu’une voiture qui, après avoir transporté le produit que vous aurez vendu, en transportera un autre, puis un autre. Lorsque vous ne vendez pas facilement vos produits, dites-vous que c’est parce que les acquéreurs manquent de voitures pour les emporter ? Eh bien ! L’argent n’est que la voiture de la valeur des produits. Tout son usage a été de voiturer chez vous la valeur des produits que l’acheteur avait vendus pour acheter les vôtres ; de même, il transportera chez celui auquel vous ferez un achat, la valeur des produits que vous aurez vendus à d’autres.

« C’est donc avec la valeur de vos produits, transformée momentanément en une somme d’argent, que vous achetez, que tout le monde achète les choses dont chacun a besoin. Autrement comment ferait-on pour acheter maintenant en France, dans une année, six ou huit fois plus de choses qu’on n’en achetait sous le règne misérable de Charles VI ? Il est évident que c’est parce qu’on y produit six ou huit fois plus de choses, et qu’on achète ces choses les unes avec les autres. »

Lors donc qu’on dit : La vente ne va pas, parce que l’argent est rare, on prend le moyen pour la cause ; on commet une erreur qui provient de ce que presque tous les produits se résolvent en argent avant de s’échanger contre d’autres marchandises, et de ce qu’une marchandise qui se

  1. Lors même que ce serait pour enfouir la somme, le but ultérieur est toujours d’acheter quelque chose avec la somme. Si ce n’est l’enfouisseur qui achète, c’est son héritier, c’est celui aux mains de qui la somme tombe par quelque accident que ce soit ; car de la monnaie, en tant que monnaie, ne peut servir à aucun autre usage.