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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

n’oserais-je pas répondre qu’il ne fût préférable de respecter son travers, et que la société ne gagnât davantage à maintenir inviolablement les droits d’un propriétaire, qu’à jouir de quelques mines de plus.

Enfin, la sûreté publique exige quelquefois impérieusement le sacrifice de la propriété particulière, et l’indemnité qu’on donne en pareil cas n’empêche pas qu’il n’y ait violation de propriété : car le droit de propriété embrasse la libre disposition du bien ; et le sacrifice du bien, moyennant une indemnité, est une disposition forcée.

Lorsque l’autorité publique n’est pas spoliatrice elle-même, elle procure aux nations le plus grand des bienfaits, celui de les garantir des spoliateurs[1]. Sans cette protection, qui prête le secours de tous aux besoins d’un seul, il est impossible de concevoir aucun développement important des facultés productives de l’homme, des terres et des capitaux ; il est impossible de concevoir l’existence des capitaux eux-mêmes, puisqu’ils ne sont que des valeurs accumulées et travaillant sous la sauvegarde de l’autorité publique. C’est pour cette raison que jamais aucune nation n’est parvenue à quelque degré d’opulence sans avoir été soumise à un gouvernement régulier ; c’est à la sûreté que procure l’organisation politique que les peuples policés doivent, non-seulement les productions innombrables et variées qui satisfont à leurs besoins, mais encore les beaux-arts, les loisirs, fruits de quelques accumulations, et sans lesquels ils ne pourraient pas cultiver les dons de l’esprit, ni par conséquent s’élever à toute la dignité que comporte la nature de l’homme.

Le pauvre lui-même, celui qui ne possède rien, n’est pas moins intéressé que le riche au respect des droits de la propriété. Il ne peut tirer parti de ses facultés qu’à l’aide des accumulations qui ont été faites et protégées ; tout ce qui s’oppose à ces accumulations, ou les dissipe, nuit essentiellement à ses moyens de gagner ; et la misère, le dépérissement des classes indigentes, suit toujours le pillage et la ruine des classes riches. C’est par un sentiment confus de cette utilité du droit de propriété, autant qu’à cause de l’intérêt privé des riches, que, chez toutes les nations civilisées, l’atteinte portée aux propriétés est poursuivie et punie comme un crime. L’étude de l’économie politique est très-propre à justifier et à fortifier cette législation, et elle explique pourquoi les heureux

  1. On peut être dépouillé par la fraude comme par la force, par un jugement inique, par une vente illusoire, par des terreurs religieuses, de même que par la rapacité des gens de guerre, ou par l’audace des brigands.