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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XIV.

Les contributions publiques, même lorsqu’elles sont consenties par la nation, sont une violation des propriétés, puisqu’on ne peut lever des valeurs qu’en les prenant sur celles qu’ont produites les terres, les capitaux et l’industrie des particuliers ; aussi toutes les fois qu’elles excèdent la somme indispensable pour la conservation de la société, il est permis de les considérer comme une spoliation. Il y a quelques autres cas excessivement rares, où l’on peut, avec quelque avantage, intervenir entre le particulier et sa propriété.

C’est ainsi que, dans les pays où l’on reconnaît ce malheureux droit de l’homme sur l’homme, droit qui blesse tous les autres, on pose cependant certaines bornes au pouvoir du maître sur l’esclave ; c’est encore ainsi que la crainte de provoquer le dessèchement des cours d’eau, ou la nécessité de procurer à la société des bois de marine ou de charpente dont on ne saurait se passer, fait tolérer des réglemens relatifs à la coupe des forêts particulières[1] ; et que la crainte de perdre les minéraux qu’enferme le sol, impose quelquefois au gouvernement l’obligation de se mêler de l’exploitation des mines. On sent en effet que, si la manière d’exploiter restait entièrement libre, un défaut d’intelligence, une avidité trop impatiente, ou des capitaux insuffisans, pourraient conseiller à un propriétaire des fouilles superficielles qui épuiseraient les portions les plus apparentes et souvent les moins fécondes d’une veine, et feraient perdre la trace des plus riches filons. Quelquefois une veine minérale passe au-dessous du sol de plusieurs propriétaires, mais l’accès n’en est praticable que par une seule propriété ; il faut bien, dans ce cas, vaincre la volonté d’un propriétaire récalcitrant, et déterminer le mode d’exploitation[2] ; encore

  1. Peut-être, au reste, que, sans les guerres maritimes dont les unes ont pour cause des vanités puériles, et les autres des intérêts mal entendus ; peut-être, dis-je, que le commerce fournirait à très-bon compte les meilleurs bois de marine, et que l’abus de réglementer les forêts particulières n’est que la conséquence d’un autre abus plus cruel et moins excusable. On peut faire des réflexions du même genre sur les vexations et le monopole auxquels donnent lieu en France l’extraction du salpêtre et la fabrication de la poudre. En Angleterre, où ces abus n’existent pas et où le gouvernement achète sa poudre aux particuliers, il n’en a jamais manqué et elle ne lui revient pas aussi cher.
  2. Le traducteur américain de cet ouvrage observe en cet endroit, dans une note, qu’il convient de se méfier beaucoup des motifs sur lesquels on s’appuie quand il s’agit de gêner une exploitation quelconque ; car des motifs tout aussi spécieux peuvent être allégués pour opposer des entraves à une multitude d’autres travaux.