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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

C’est violer la propriété industrielle d’un homme que de lui interdire l’usage de ses talens et de ses facultés, si ce n’est dans le cas où ils attentent aux droits d’un autre homme[1].

C’est encore violer la propriété industrielle que de mettre un homme en réquisition pour certains travaux, lorsqu’il a jugé à propos de se consacrer à d’autres travaux ; comme lorsqu’on force un homme qui a étudié les arts ou le commerce, à suivre le métier de la guerre, ou simplement à faire un service militaire accidentel.

Je sais fort bien que le maintien de l’ordre social, qui garantit la propriété, passe avant la propriété même ; mais il ne faut pas que la conservation de l’ordre puisse servir de prétexte aux vexations du pouvoir, ni que la subordination donne naissance au privilège. L’industrie a besoin de garanties contre ces abus, et jamais on ne lui voit prendre un véritable développement dans les lieux où commande une autorité sans contrepoids.

  1. Les talens industriels sont la plus incontestable des propriétés, puisqu’on les tient immédiatement de la nature et de ses propres soins. Ils établissent un droit supérieur à celui des propriétaires de terre, qui remonte à une spoliation (car on ne peut pas supposer qu’une terre ait toujours été transmise légitimement depuis le premier occupant jusqu’à nos jours) ; un droit supérieur à celui du capitaliste : car, en supposant même que le capital ne soit le fruit d’aucune spoliation, mais d’une accumulation lente pendant plusieurs générations, il faut encore, de même que pour la terre, le concours de la législation pour en consacrer l’hérédité, concours qu’elle a pu n’accorder qu’à certaines conditions. Mais, quelque sacrée que soit la propriété des talens industriels, des facultés naturelles et acquises, elle est méconnue non-seulement dans l’esclavage qui viole ainsi la plus indisputable des propriétés, mais dans bien d’autres cas beaucoup moins rares.

    Le gouvernement viole la propriété que chacun a de sa personne et de ses facultés, lorsqu’il s’empare d’une certaine industrie, comme de celles des agens de change et des courtiers, et qu’il vend à des privilégiés le droit exclusif d’exercer ces fonctions. Il viole encore plus la propriété, lorsque, sous prétexte de la sûreté publique, ou seulement de la sûreté du gouvernement lui-même, il vous empêche de changer de lieu, ou bien lorsqu’il autorise un gendarme, un commissaire de police, un juge à vous arrêter, à vous détenir, tellement que personne n’a la complète certitude de pouvoir disposer de son temps, de ses facultés, ni de terminer une affaire commencée. La sûreté publique serait-elle mieux violée par un brigand que tout tend à réprimer, et qui est toujours si promptement réprimé ?