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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XI.

précaution plus ou moins grande. Mais quand le trésor a pu donner un profit proportionné à sa masse, alors on a été doublement intéressé à le grossir ; et ce n’a pas été en vertu d’un intérêt éloigné, d’un intérêt de précaution, mais d’un intérêt actuel, sensible à tous les instans, puisque le profit donné par le capital a pu, sans rien ôter au fonds, être consommé et procurer de nouvelles jouissances. Dès-lors on a plus étroitement songé qu’on ne l’avait fait auparavant, à se créer un capital productif quand on n’en avait point, à l’augmenter quand on en avait un ; et l’on a considéré des fonds portant l’intérêt comme une propriété aussi lucrative et quelquefois aussi solide qu’une terre rapportant un fermage.

Que si l’on s’avisait de regarder l’accumulation des capitaux comme un mal, en ce qu’elle tend à augmenter l’inégalité des fortunes, je prierais d’observer que si l’accumulation tend sans cesse à accroître les grandes fortunes, la marche de la nature tend sans cesse à les diviser. Un homme qui a augmenté son capital et celui de son pays, finit par mourir, et il est rare qu’une succession ne devienne pas le partage de plusieurs héritiers ou légataires, excepté dans les pays où les lois reconnaissent des substitutions et des droits de primogéniture. Hors les pays où de pareilles lois exercent leur funeste influence, et partout où la marche bienfesante de la nature n’est pas contrariée, les richesses se divisent naturellement, pénètrent dans toutes les ramifications de l’arbre social, et portent la vie et la santé jusqu’à ses extrémités les plus éloignées[1]. Le capital total du pays s’augmente en même temps que les fortunes particulières se divisent.

  1. Il est fâcheux qu’on ne cherche pas à s’honorer plus souvent par de belles dispositions testamentaires. Le bien qu’une personne riche fait à un légataire indigne, verse toujours quelque mépris sur sa mémoire, tandis que rien ne l’honore plus que des legs dictés par la vertu et par l’intérêt public. Un hospice fondé, une institution créée pour l’instruction de la classe indigente, une récompense perpétuelle offerte à de bonnes actions, un legs adressé à un citoyen recommandable, même lorsqu’on ne le connaît pas personnellement, manifestent une âme élevée et étendent l’influence d’un riche au-delà du tombeau. Le traducteur de cet ouvrage en anglais, M. Prinsep, ajoute à cette note ce qui suit : « Cette ambition louable se manifeste d’autant plus souvent que la nation a plus de liberté et de lumières. Il ne se passe pas d’année en Angleterre sans qu’on ait plusieurs exemples de cette utile munificence. Les sommes laissées par Pitt le père à Wilberforce et à d’autres gens de mérite ; les nombreuses fondations et dotations léguées à des hospices ou à des maisons d’instruction, font autant d’honneur à la nation qu’à leurs auteurs. »