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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

prises industrielles, qui ne peuvent se soutenir qu’en diminuant le salaire des ouvriers.

J’en conclus que, quoiqu’il y ait incontestablement, dans presque tous les états de l’Europe, des produits épargnés chaque année, cette épargne ne porte pas en général sur les consommations inutiles, ainsi que le voudraient la politique et l’humanité, mais sur des besoins véritables ; ce qui accuse le système politique et économique de beaucoup de gouvernemens.

Smith pense encore que les richesses des modernes sont dues plutôt à l’étendue des économies qu’à l’accroissement de la production. Je sais bien que certaines profusions folles sont peut-être plus rares qu’autrefois[1] ; mais qu’on fasse attention au petit nombre de personnes à qui de semblables profusions étaient permises ; qu’on prenne la peine de considérer combien les jouissances d’une consommation plus abondante et plus variée se sont répandues, surtout parmi la classe mitoyenne de la société ; on trouvera, ce me semble, que les consommations et les économies se sont accrues en même temps ; ce qui n’est pas contradictoire : combien

  1. Il ne faut pourtant pas s’imaginer que la différence entre les systèmes économiques des anciens états, et ceux des états modernes, soit aussi grande qu’on serait tenté de le croire. On aperçoit des ressemblances frappantes entre les progrès et le déclin des peuples opulens de Tyr, de Carthage, d’Alexandrie, et des républiques de Venise, de Florence, de Gênes, de Hollande. Partout, les mêmes causes ont produit les mêmes effets, Nous entendons faire de grands récits des richesses de Crésus, roi de Lydie, avant même la conquête que ce roi fit de quelques états voisins ; nous devons en conclure que les Lydiens étaient une nation industrieuse et économe ; car son roi ne put tirer ses ressources que de son peuple. L’étude de l’économie politique suffirait pour établir cette opinion ; mais on en trouve dans Justin la confirmation formelle. Il appelle les Lydiens, une nation dès long-temps puissante par son industrie (gens industriâ quondam potens) ; et quant à son activité, il dit que Cyrus ne parvint à la soumettre complètement que lorsqu’il l’eut accoutumée à l’oisiveté des cabarets, aux jeux et à la débauche (jussitque cauponias et ludricas artes et lenocinia exercere). Donc, elle avait auparavant les qualités opposées. Si Crésus ne s’était pas livré au faste et à l’ambition des conquêtes, il aurait probablement conservé une grande puissance, et n’aurait pas terminé ses jours dans l’infortune. L’art de lier les effets aux causes, et l’étude de l’économie politique, ne sont pas moins importans pour le bonheur personnel des rois que pour celui de leurs peuples. C’est l’ignorance de l’économie politique qui a conduit Bonaparte, à Sainte-Hélène. Il n’a pas senti que le résultat inévitable de son système était d’épuiser ses ressources, et d’aliéner les affections de la majorité des Français.