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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XI.

tations, ont pris la forme qui lui convenait le mieux ; un boisseau de blé épargné peut nourrir également un maçon et un brodeur. Dans le premier cas, le boisseau de blé reparaîtra sous la forme d’une portion de bâtiment, produit durable fesant partie d’un capital ; dans le second cas, il reparaîtra dans un habit brodé qui ne durera qu’un temps.

Tout entrepreneur d’industrie, fesant lui-même travailler son capital, trouve avec facilité les moyens d’occuper productivement ses épargnes. S’il est cultivateur, il achète des portions de terre, ou augmente par des bonifications le pouvoir productif de celles qu’il a. S’il est négociant, il achète et revend une plus grande masse de marchandises. Les capitalistes ont à peu près les mêmes moyens ; ils augmentent de tout le montant de leurs épargnes leur capital placé, ou bien ils cherchent de nouveaux placemens, pour eux d’autant plus faciles à trouver, que, connus pour avoir des fonds à placer, ils reçoivent plus que d’autres des propositions pour l’emploi de leurs épargnes. Mais les propriétaires de terres affermées, et les personnes qui vivent de leurs rentes ou du salaire de leur main-d’œuvre, n’ont pas la même facilité, et ne peuvent placer utilement un capital qu’autant qu’il se monte à une certaine somme. Beaucoup d’épargnes sont, par cette raison, consommées improductivement, qui auraient pu être consommées reproductivement, et grossir les capitaux particuliers, et par conséquent la somme du capital national. Les caisses et les associations qui se chargent de recevoir, de réunir et de faire valoir les petites épargnes des particuliers, sont en conséquence (toutes les fois qu’elles offrent une sûreté parfaite) très-favorables à la multiplication des capitaux.

L’accroissement des capitaux est lent de sa nature ; car il n’a jamais lieu que là où il y a des valeurs véritablement produites, et des valeurs ne se créent pas sans qu’on y mette, outre les autres élémens, du temps et de la peine[1]. Et comme les producteurs, tout en créant des valeurs, sont obligés d’en consommer, ils ne peuvent jamais accumuler, c’est-à-dire, employer reproductivement que la portion des valeurs produites qui excède

  1. Les épargnes que font un riche traitant, un spoliateur du bien d’autrui, un favori comblé de privilèges, de pensions et de places, sont bien des accumulations véritables et quelquefois assez faciles. Mais ces valeurs, accumulées par un petit nombre de privilégiés, sont le produit très-réel des travaux, des capitaux et des terres d’un grand nombre de producteurs qui auraient pu les épargner, et les accumuler eux-mêmes à leur profit, si l’injustice et la force ne les leur avaient ravies.