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DISCOURS

mœurs publiques ; certains préjugés, tels que l’idée d’usure attachée au prêt à intérêt, celle de noblesse attachée à l’oisiveté, allaient en s’affaiblissant. Ce n’est pas tout : de bons esprits ont remarqué, non-seulement tous ces faits, mais l’action de beaucoup d’autres faits analogues ; ils ont senti que le déclin des préjugés avait été favorable aux progrès des sciences, à une connaissance plus exacte des lois de la nature ; que les progrès des sciences avaient été favorables à ceux de l’industrie, et ceux de l’industrie à l’opulence des nations. Voilà par quelle combinaison ils ont été en état de conclure, avec bien plus de sûreté que le vulgaire, que si plusieurs états modernes ont prospéré au milieu des entraves et des impôts, ce n’est pas en conséquence des impôts et des entraves, c’est malgré ces causes de découragement ; et que la prospérité des mêmes états serait bien plus grande s’ils avaient été assujettis à un régime plus éclairé[1].

Il faut donc, pour parvenir à la vérité, connaître, non beaucoup de faits, mais les faits essentiels et véritablement influens, les envisager sous toutes leurs faces, et surtout en tirer des conséquences justes, être assuré que l’effet qu’on leur attribue vient réellement d’eux, et non d’ailleurs. Toute autre connaissance de faits est un amas d’où il ne résulte rien, une érudition d’almanach. Et remarquez que ceux qui possèdent ce mince avantage, qui ont une mémoire nette et un jugement obscur, qui déclament contre les doctrines les plus solides, fruits d’une

  1. Cela explique aussi pourquoi les nations ne profitent presque jamais des leçons de l’expérience. Pour en profiter, il faudrait que la multitude fût en état de saisir la liaison des causes et des effets ; ce qui suppose un très-haut degré de lumières et une grande capacité de réflexion. Lorsque les nations seraient en état de profiter de l’expérience, elles n’en auraient plus besoin ; le simple bon sens leur suffirait. C’est une des raisons qui les mettent dans la nécessité d’être constamment dirigées. Tout ce qu’elles peuvent désirer, c’est que leurs lois soient faites et exécutées dans le sens de l’intérêt général. Tel est le problème que les différentes constitutions politiques résolvent plus ou moins imparfaitement.