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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

Des gouvernemens, moins sages en cela que celui de Turquie, ont interdit aux armateurs étrangers le commerce de transport chez eux. Si les nationaux pouvaient faire ce transport à meilleur compte que les étrangers, il était superflu d’en exclure ces derniers ; si les étrangers pouvaient le faire à moins de frais, on se privait volontairement du profit qu’il y avait à les employer.

Rendons cela plus sensible par un exemple.

Le transport des chanvres de Riga au Havre revient, dit-on, à un navigateur hollandais à 35 francs par tonneau. Nul autre ne pourrait les transporter si économiquement ; je suppose que le hollandais peut le faire. Il propose au gouvernement français, qui est consommateur du chanvre de Russie, de se charger de ce transport pour 40 francs par tonneau. Il se réserve, comme on voit, un bénéfice de 5 francs. Je suppose encore que le gouvernement français, voulant favoriser les armateurs de sa nation, préfère employer des navires français auxquels le même transport reviendra à 50 francs, et qui, pour se ménager le même bénéfice, le feront payer 55 francs. Qu’en résultera-t-il ? Le gouvernement aura fait un excédant de dépense de 15 francs par tonneau, pour en faire gagner 5 à ses compatriotes ; et comme ce sont des compatriotes également qui paient les contributions sur lesquelles se prennent les dépenses publiques, cette opération aura coûté 15 francs à des français, pour faire gagner 5 francs à d’autres français.

D’autres données donneront d’autres résultats ; mais telle est, je crois, la méthode à suivre dans ce calcul.

Il n’est pas besoin d’avertir que j’ai considéré jusqu’à ce moment l’industrie nautique seulement dans ses rapports avec la richesse publique ; elle en a d’autres avec la sûreté de l’état. L’art de la navigation, qui sert au commerce, sert encore à la guerre. La manœuvre d’un bâtiment de mer est une évolution militaire ; de sorte qu’une nation qui possède beaucoup d’ouvriers marins est militairement plus puissante qu’une nation qui en possède peu. Elle peut trouver au besoin un plus grand nombre de matelots expérimentés pour manœuvrer les vaisseaux de l’état. Il en est résulté que toujours on a vu des considérations militaires et politiques se mêler aux vues industrielles et commerciales dans ce qui a eu rapport à la navigation ; et lorsque l’Angleterre, par son acte de navigation, a interdit à tout bâtiment dont les armateurs et l’équipage ne seraient pas au moins pour les trois quarts anglais, de faire le commerce de transport pour elle, son but a été non pas autant de recueillir le bénéfice qui en