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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE IX.

Il y a un commerce qu’on appelle de spéculation, et qui consiste à acheter des marchandises dans un temps pour les revendre au même lieu et intactes, à une époque où l’on suppose qu’elles se vendront plus cher. Ce commerce lui-même est productif : son utilité consiste à employer des capitaux, des magasins, des soins de conservation, une industrie enfin, pour retirer de la circulation une marchandise lorsque sa surabondance l’avilirait, en ferait tomber le prix au-dessous de ses frais de production, et découragerait par conséquent sa production, pour la revendre lorsqu’elle deviendra trop rare, et que son prix étant porté au-dessus de son taux naturel (les frais de production) elle causerait de la perte à ses consommateurs. Ce commerce tend, comme on voit, à transporter, pour ainsi dire, la marchandise d’un temps dans un autre, au lieu de la transporter d’un endroit dans un autre. S’il ne donne point de bénéfice, s’il donne de la perte, c’est une preuve qu’il était inutile, que la marchandise n’était point trop abondante au moment où on l’achetait, et qu’elle n’était point trop rare au moment où on l’a revendue. On a aussi appelé les opérations de ce genre, commerce de réserve, et cette désignation est bonne. Lorsqu’elles tendent à accaparer toutes les denrées d’une même espèce, pour s’en réserver le monopole et la revente à des prix exagérés, on nomme cela des accaparemens. Ils sont heureusement d’autant plus difficiles que le pays a plus de commerce, et par conséquent plus de marchandises de tout genre dans la circulation.

Le commerce de transport proprement dit, celui que Smith appelle ainsi (carrying trade), consiste à acheter des marchandises hors de son pays pour les revendre hors de son pays. Cette industrie est favorable non-seulement au négociant qui l’exerce, mais aux deux nations chez lesquelles il va l’exercer, par les raisons que j’ai exposées en parlant du commerce extérieur. Ce commerce convient peu aux nations où les capitaux sont rares, et qui en manquent pour exercer leur industrie intérieure, celle qui mérite d’être favorisée de préférence. Les hollandais, en temps ordinaire, le font avec avantage, parce qu’ils ont une population et des capitaux surabondans. Les français l’ont fait avec succès, en temps de paix, d’un port du Levant à l’autre, leurs armateurs pouvant se procurer des capitaux à meilleur compte que les Levantins, et se trouvant peut-être moins exposés aux avanies de leur abominable gouvernement ; d’autres ont succédé aux français, et ce commerce de transport, loin d’être funeste aux sujets du turc, contribue à entretenir le peu d’industrie de ces contrées.