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plus récents adversaires des profits du capitaliste difïèrent-ils totalement de ceux qui servirent de base aux anciennes prohibitions. La productivité du capital est un fait trop universel pour pouvoir être nié et l’argument d’Aristote n’est plus qu’une catégorie historique aujourd’hui délaissée. Les revendications nouvelles sont faites au nom de l’équité et de l’égalité.

Le capital, dit-on, n’est pas productif par lui seul, il ne le devient que grâce au travail et le produit qui n’existerait pas sans le travailleur doit appartenir tout entier à celui- ei. On proteste donc, au nom de l’équité, contre le prélèvement par le prêteur d’une partie du produit qu’il n’a pas fabriqué.

Sic vos non vobîs... répète-t-on à l’ouvrier, et Ton cherche à lui persuader qu’il est dépouillé par le capitaliste.

On raisonne ainsi du produit résultant de la collaboration du travail et du capital, comme s’il s’agissait d’un produit obtenu par le travail seul, lequel, en ce cas, reviendrait tout entier à son auteur en vertu de l’axiome : à chacun suivant son œuvre, et Ton ne voit pas qu’en vertu du même principe, l’équité exige que le produit obtenu par la coopération du travailleur et du capitaliste soit partagé entre eux.

Que si l’on s’élève contre la proportion attribuée à chacun des co opérateurs dans ce partage, nous savons qu’elle est fixée, en ce qui concerne la part du capital, par des lois naturelles plus puissantes que les lois humaines, et que le progrès économique et la marche de la civilisation concourent à augmenter la part du travailleur et à diminuer celle du capitaliste.

Si Ton s’insurge au nom de l’égalité contre le phénomène de l’intérêt, c’est, dit-on, qu’il permet au capitaliste de vivre sans travail des produits du travail et qu’il constitue ainsi, dans la société, une classe exempte du travail pour toujours en face d’une autre vouée au travail sans trêve ; l’intérêt fait de celle-ci l’esclave de celle-là ; et l’on cite maints exemples de cette servitude. L’ouvrier d’industrie est l’esclave ou de l’actionnaire et de l’obligataire de la société qui l’emploie, ou du patron pour lequel il travaille ; car, sans parler des bénéfices absorbés par l’actionnaire ou le patron, l’ouvrier voit une partie de ses produits absorbée par l’intérêt du capital engagé dans l’entreprise, soit que cet intérêt soit payé à des obligataires, soit que l’industriel en établisse le compte fictif à son propre profit. Le fermier est l’esclave du propriétaire foncier et l’ouvrier de ce fermier est l’esclave de deux maîtres qui vivent des produits de son travail. Le propriétaire cultivateur, si les circonstances l’ont obligé de recourir à l’emprunt pour donner à la terre les avances qu’elle réclame ou pour agrandir son champ, le voilà devenu pour longtemps, si ce n’est pour toujours, l’esclave de son bailleur de-, fonds. Bien plus, pour subir cette sujétion, il n’est même pas nécessaire, dans nos pays civilisés, d’emprunter, de prendre à bail ou de travailler moyennant salaire ; l’État prélève sur les produits du travail de lourds impôts pour le service de la dette publique, en sorte que tous les contribuables sont faits’ les débiteurs et les esclaves du rentier. Ainsi, le jeu de l’intérêt établirait partout, dans notre organisation sociale, et sous les formes les plus diverses et les plus inattendues, un asservissement de toutes les classes de travailleurs au profit des possesseurs de capitaux.

Observons d’abord que, s’il y a, en effet, une catégorie d’hommes, de capitalistes, qui vivent de leurs revenus, il n’y a pas de caste fermée à qui le privilège de vivre sans travail soit immuablement attaché. On sait combien les cadres, au contraire, en sont incertains et flottants, — comme les caprices delà changeante fortune, — et que dans ce groupe il se fait un renouvellement incessant des membres qui le composent. Nous n’avons pas à montrer ici comment cette sélection s’opère par l’effet de certaines qualités d’intelligence, de sagacité, de prudence et de quelques vertus comme l’amour du travail, la persévérance, l’épargne. Pour n’être pas nulle, la part laissée aux faveurs du sort est, en somme, bien réduite et les victimes de ses coups sont, le plus souvent, victimes surtout de leur incapacité ou de leur témérité quand elles ne le sont pas de leur paresse, de leur inconstance on de leur prodigalité. Il suffirait de faire remarquer que le mécanisme de l’intérêt est innocent du crime qu’on lui impute ; que l’inégalité contre laquelle on proteste est équitable en tant qu’elle est le résultat des efforts de travail et d’épargne et que, pour la part qui provient des qualités naturelles des hommes, elle n’est qu’un effet de l’inégale répartition que la nature fait de ses dons ; qu’au surplus, ceux qui jouissent de la fortune qu’ils ont su acquérir par eux-mêmes, jouissent d’un repos légitime qui doit être honoré et respecté comme le travail qui en est l’origine, et que ceux-là sont les plus nombreux dans cette classe privilégiée.

Mais il ne suffit pas de rappeler par quels efforts et par quelles qualités on entre dans la « classe des capitalistes », et que pour 1 ? plupart de ceux qui s’y trouvent, il est juste