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jourd’hui, après des progrès immenses dans la culture du sol et dans l’importance des villes, il est plutôt question de diminuer que d’augmenter l’impôt foncier.

Aussi, entre les diverses théories auxquelles a donné lieu le problème de l’incidence de l’impôt, celle de Stuart Mill, celle de l’égalité de sacrifices dont l’honneur revient, en réalité, à l’Assemblée constituante, aux philosophes, aux économistes qui ont inspiré ses immortels travaux, est celle le plus en rapport avec l’état actuel de la civilisation comme avec les progrès des idées économiques. Elle n’est pas aussi éloignée qu’on serait porté à l’admettre de la théorie socialiste sur l’inégalité dans la répartition des résultats de la production, mais elle revêt un caractère plus général. Elle tient compte de l’inégalité fondamentale des facultés et des conditions. Elle offre un idéal à la justice fiscale, si l’on peut accoler ces mots qui ont si peu l’habitude de cheminer ensemble.

On est autorisé, par suite, à considérer la théorie de l’égalité du sacrifice comme étant véritablementla dernière théorie fiscale. C’est dire combien l’incidence de l’impôt est mieux connue, combien les économistes sont portés à réduire le champ de la répercussion et de la récupération, c’est dire que si certains impôts ont, en effet, l’avantage ou l’inconvénient de pouvoir être réfléchis, en tout ou en partie, sur des contribuables autres que ceux auxquels ils sont destinés, la masse des impôts reste cependant au compte de celui auquel le fisc s’adresse. Il y a dès lors intérêt à rechercher, si, étant données les conditions importantes d’inégalité, on a réalisé l’égalité de sacrifices entre les divers contribuables. Les rôles se trouvent ainsi intervertis ; c’est le manant qui compte de clerc à maitre avec le millionnaire de Surate ; celui-ci ne se permettrait plus de reléguer à la cuisine le conseiller municipal ; l’esclave de Socrate aurait des souliers, tandis que le grand philosophe allait nu-pieds, mais la navette n’a plus besoin d’esclaves pour tourner. La condition de l’homme a changé. Depuis un demisiècle, dans la plupart des États, le budget est librement discuté, tous les impôts passés au crible.

Toutefois, il ne faut pas s’enorgueillir ; plus de la moitié de l’espèce humaine, peut-être les deux tie’rs, supportent l’impôt sans savoir pourquoi et sans être encore admis à s’en plaindre, ni à l’examiner, ni à le modifier. Dans des gouvernements immuables, dans l’Inde, dans les États musulmans, c’est-à-dire pour 450 millions d’hommes, il prélève tout ce qu’il est possible de prendre, sans aucune con-

— INCIDENCE DE L’IMPOT 

sidération de justice, d’incidence, de facultés, ni de théories. La force, ou la tradition, reposant sur la force, est son seul élément générateur. En Russie, dans la Chine, c’est-à-dire pour 500 millions d’hommes, il est moins oppressif, avec tendance à revêtir en Russie un caractère scientifique, comme chez les principaux peuples libres, mais il émane encore de la seule volonté du tsar. En Chine, la tradition est sa base de justice ; quant à la perception, elle n’est entourée d’aucune garantie. Ces considérations sont faites pour rendre modeste en tout ce qui concerne les conditions fiscales de l’humanité et l’examen des théories complexes proposées aux méditations de cette Europe si puissante, maïs encore si jeune, si populeuse, mais si étroite. On pourrait presque lui appliquer la réflexion sceptique que, d’après Hérodote, les vieux prêtres de Memphis se permettaient à l’endroit des Grecs qui affluaient en Egypte, pour tout apprendre et tout expliquer, « Ils sont bien jeunes », se contentaient de dire les Hiérogrammates.

III. DISCUSSION DE L’INCDDENCE. . Observations préliminaires.

Les impôts ne doivent jamais être séparés du milieu social dans lequel ils ont été appliqués ou sur lequel ils opèrent. Ils n’ont rien de conjectural. Pline le Jeune écrivait à Trajan : Egregie Csesar^ quod lacrymas parentum vectigaks esse non poteris II faut faire la part au rhéteur. Toutefois la phrase de Pline le Jeune est toujours vraie, dans la mesure des progrès dont le tableau a été dressé, progrès immenses et consolants dans notre siècle.

Voltaire a certainement parlé de l’impôt avec beaucoup d’esprit, mais c’est plutôt à Vauban, à Turgot, qu’il faut s’en rapporter, quand on veut se bien pénétrer de la nature de l’impôt,

. Règles générales.

° L’incidence de l’impôt varie avec l’état social etl’indépendancepolitique des peuples. ° La race, le territoire, les formes de gouvernement, les religions, en modifiant la nature de l’impôt, exercent une influence indirecte sur l’incidence de l’impôt. De là, la diversité des impôts.

° Quoique l’état social soit le facteur principal de l’incidence de l’impôt, tous les impôts, par eux-mêmes, dans un milieu social donné, n’ont pas la même incidence, parce qu’ils ne sont pas de la même nature ; un impôt sur les propriétés urbaines bâties n’a pas, en principe, la même incidence que l’impôt sur les terres de culture ; un impôt