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en état de le payer ; seulement il ne faut pas l’accabler.

Toute l’histoire fiscale de notre société contemporaine, tous les faits d’incidence sont dominés par la condition des classes laborieuses, parce qu’elles sont les plus nombreuses et celles dont les conditions, par une loi générale manifeste, tend à s’améliorer le plus rapidement. Elles disposent actuellement de forces considérables par leur travail, leur moralité, leur habileté technique, leurs épargnes.

Ce sont des faits nouveaux dans l’histoire de l’humanité, même pour l’Europe contemporaine, queces maisons ouvrières, ces mobiliers assortis, ces enfants chaussés, ces machines au foyer domestique, ces valeurs au porteur, achetées une à une, ces caisses d’épargne, qui en Europe possèdent 8 à 9 milliards et 6 aux États-Unis, cesbanquespopulaires qui manipulent plus de 4 milliards en Allemagne, en Italie, en Russie, ces sociétés coopératives qui couvrent l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie, ces sociétés de secours mutuels qui ne datent que de notre siècle ; tout cela est nouveau.

Aussi ne faut-il pas être surpris si tous les problèmes d’incidence de l’impôt se résument, comme le pressentaientles économistes du siècle dernier, Adam Smith particulièrement, et comme l’atteste le mouvement des théories chez les divers peuples contemporains, dans l’étendue ou les limites du concours que les classes laborieuses peuvent et doivent apporter aux dépenses publiques.

Il faut prévoir qu’après une évolution si pénible de leur condition, les classes qui sont aujourd’hui les plus nombreuses s’efforceront le plus possible de restreindre leur concours ou d’exagérer le concours des autres éléments sociaux. Les peuples contemporains, surtout ceux chez qui prévalent les institutions démocratiques, pourront ainsi devenir les arènes de luttes fiscales aussi actives qu’à Florence au xv e siècle. Toutefois, à Florence, la lutte n’était engagée qu’entre les classes supérieures. Il a été établi que Les classes populaires, quoique affranchies depuis longtemps, n’avaient été que des témoins. Elles fournissaient leur contingent par des impôts indirects qu’elles n’étaient pas admises à discuter.

Dans les systèmes d’impôts des peuples contemporains, on peut facilement reconnaître l’influence de l’état social sur l’incidence et, par suite, sur la forme de l’impôt.. 3’est ainsi qu’en Russie, où les besoins du climat sont si largement mis à profit, les ressources fiscales se sont développées parallèlement aux progrès de l’émancipation des serfs.

La lenteur et les difficultés avec lesquelles ont eu lieu la transformation de l’esclavage en servage et du servage en liberté complète ont tenu à des circonstances défavorables, comme les invasions, qui ont arrêté l’évolution en cours dans la société romaine, à la pénurie des ressources accumulées par des sociétés où le travail n’était ni honoré, ni fécond, ni suffisant, à l’étendue du sol européen, eu égard à sa population. Tout a bien change depuis, surtout en ce siècle ; le progrès a été rapide, continu, extraordinaire. On en trouve la preuve dans la plus-value de la propriété foncière, dans le rendement des taxes successorales, dans la hausse des salaires, dans le prélèvement annuel des salaires.

On peut considérer que, la Russie exceptée, le mouvement d’affranchissement social,, l’évolution des classes laborieuses sont achevés en’ 1789, à la fin du siècle dernier. Le grand fait historique de la servitude humaine, en Europe, dans ses diverses étapes est à terme ; son influence fiscale tend à disparaître. Il est progressivement remplacé par un autre fait, l’adaptation du travailleur, paysan et ouvrier, au milieu dans lequel il se trouve libre et responsable. Cette adaptation est aujourd’hui également terminée. Elle a eu ses jours de douleur, mais combien s’est-elle faite plus vite et plus facilement que l’émancipation de la servitude ! Elle a pour agent le salaire, qui n’apparaît en Egypte que depuis quelques années seulement.

Il y a cent trente ans, Forbonnais évaluait, en France, le salaire moyen de l’homme à soixante centimes. Il y a cent ans, il ne s’élevait pas à un franc ; il est au moins triple aujourd’hui. L’émancipation économique est venue compléter 1 émancipation sociale. Ce sont là de très grands faits. Il est douteux que des faits plus importants puissent s’accomplir de quelque temps. Les peuples ont traversé des jours très prospères. La plus forte preuve de cette prospérité, c’est que les classes ouvrières anglaises se partagent chaque année 13 à 14 milliards de salaires. En France, elles ont un contingent qui probablement représente 12 milliards. Elles ne sauraient prétendre à ne pas concourir aux dépenses publiques et à rejeter ces dépenses sur les autres éléments sociaux.

Soulever ces éventualités, c’est résumer toute la révolution qui s’est faite dans la composition des éléments sociaux. De cette nécessité du concours des classes-