Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/51

Cette page n’a pas encore été corrigée

Il ne paraît pas que l’opération ait très bien réussi, puisque, après plus de soixante-dix années, la moitié environ de l’impôt subsistait encore. Sans doute, beaucoup d’intéressés ont manqué de confiance envers le gouvernement et ont craint, qu’une fois leur capital versé, on ne les rançonnât d’autre façon. Cette tentative n’en est pas moins intéressante, en ce qu’elle indique sous quel aspect la question est envisagée par nos voisins d’outre-Manche.

. lia rente du sol croît plus vite que l’impôt. — Causes de cet accroissement. — Système de la nationalisation du sol.

Il résulte des travaux statistiques dont nous avons parlé, qu’en France le revenu net des propriétaires, estimé en 1791 à 1440 millions de francs, représenterait aujourd’hui une valeur de 4672 millions, dont 2582 millions reviendraient à la propriété non bâtie ou à la rente du sol. Cependant, les renseignements centralisés par l’administration doivent être accueillis avec réserve, car la majeure partie des 2090 millions qui forment le revenu de la propriété bâtie est produite également par la rente, La valeur locative d’un édifice tient surtout à l’emplacement qu’il occupe ; tout.ee qui dépasse dans cette valeur l’intérêt et l’amortissement du capital dépensé à la construction tire son origine de la rente. La rémunération donnée pour Tus âge du terrain occupé par une maison varie depuis le simple équivalent de la rente que ce terrain produirait s’il était cultivé, jusqu’aux prix extrêmes payés pour les situations privilégiées telles que le centre des villes populeuses. Cela ne fait pas de doute, et je ne sache pas que les statistiques en aient tenu compte. Quoi qu’il en soit, admettons un instant l’exactitude des chiffres cités plus haut. Le budget de 1891 demande

— et j’ajoute tous les centimes additionnels — 240 millions à la propriété non bâtie, 144 millions à la propriété bâtie, sur un revenu total dépassant 4 milliards et demi. Par conséquent, le poids moyen de l’impôt foncier s’est abaissé en moins d’un siècle dans la proportion du cinquième au douzième, alors que le fardeau des autres contributions devenait de plus en plus lourd. Fawcett porte à 4 milliards et demi de livres sterling la valeur capitalisée des revenus fonciers en Angleterre ; d’après Rogers, la rente de ce pays est, pour les terres cultivées, cent vingt fois plus grande aujourd’hui qu’elle ne l’était il y cinquante ans et cette plus-value est encore moindre que celle réalisée sur les mines et les terrains à bâtir dans le même intervalle. En Allemagne et en Belgique, le prix de vente des terres arables a doublé en moins de quarante ans. Pas plus dans ces contrées qu’en France, l’impôt territorial n’a suivi une pareille progression. La rente du sol s’élève naturellement, en effet, à chaque étape de la civilisation ; tout effort de la communauté tend à lui donner plus de valeur. Qu’il s’agisse de travaux publics, routes, canaux, voies ferrées, d’améliorations nouvelles apportées à l’industrie, du développement de la population ou de l’accumulation des épargnes ; ces diverses manifestations de la vie collective ont toutes pour résultat d’accroître indirectement le bénéfice des propriétaires K Quel droit ont-ils à cet accroissement de richesse ? La terre aux mains de quelques-uns est un monopole perpétuel, à la différence des autres monopoles créés par l’intelligence et l’activité humaines lesquels sont temporaires ; la terre est un capital indestructible à la différence des autres capitaux qui se consomment par l’usage et qui périssent si le travail ne les reconstitue pas par un labeur incessant ; la terre semble donc être à première vue la meilleure des matières imposées.

Rossi disait, dans son Cours d’économie politique : « La rente est-elle une bonne matière imposable ? Il est évident qu’elle l’est, si l’impôt dont on la frappe est assis sur des bases rationnelles ; parce qu’alors il n’affecte ni le capital, ni le travail, ni les profits, ni les salaires, qu’il ne trouble en rien l’œuvre de la production nationale et ne fait autre chose que substituer, pour une portion, le gouvernement aux propriétaires fonciers. » Et Stuart Mill, poursuivant la même idée, arrive à cette conclusion en apparence irréfutable : « Supposons qu’il y ait une espèce de revenu qui tende constamment à s’accroître, sans aucun effort, sans aucun sacrifice de la part de ceux qui le possèdent, les possesseurs formant une classe de la communauté que le cours naturel. des choses enrichit progressivement malgré leur absolue passivité. Il n’y a pas alors violation des principes qui sont le fondement de la propriété privée si l’État s’approprie cette augmentation de richesse ou partie de cette augmentation au fur et à mesure qu’elle se produit. Ce n’est pas alors prendre quelque t. Notons toutefois que pendant que le prix vénal dé IU propriété foncière augmentait, le prix de tous les produits qu’elle donne est souvent resté stationnaire, si même il n’a diminué, ce qui a amené récemment ce résultat imprévu ; la valeur de la propriété foncière à son tour a baissé et les détenteurs actuels ne pourraient le plus souvent pas la revendre au prix qu’ils l’ont payée. Néanmoins, tout ce qui est au texte est rigoureusement exact pour les familles qui ont gardé les mêmes propriétés depuis un siècle ou un demisiècle. (N. D. L. û.)