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peuple se civilise, qu’il épargne, qu’il abandonne les manœuvres grossières de la culture primitive ; aussitôt la dîme engendre de criantes injustices en même temps qu’elle élève une barrière infranchissable au progrès. S’il est vrai, en effet, que le produit net s’accroisse à mesure qu’on incorpore des capitaux au sol, qu’on le fume, qu’on le draine ou qu’on l’irrigue (V. Agriculture et Machines), il s’en faut de beaucoup que le rapport du produit net au produit brut reste toujours constant. A chaque amélioration, les deux augmentent, cela est incontestable, mais à chaque amélioration, les frais d’exploitation augmentent aussi et ils augmentent beaucoup plus rapidement que le produit net. Par suite, lorsqu’on proportionne Vimpôt à la récolte, c’est-à-dire au produit brut, il y a une limite de progrès au delà de laquelle rimpôt absorberait plus que le revenu et comme cette limite ne saurait être franchie ni même atteinte sans que le propriétaire perde son fermage, sans que le laboureur se sente menacé dans son salaire, sans que le capitaliste voie ses avances compromises, la dîme décourage le cultivateur habile, détourne les capitaux des placements agricoles et s’oppose à la bonne exploitation du sol. Avec la dîme, on ne cultive que les terres les plus fertiles et on les cultive aussi mal que possible.

L’impopularité de cet impôt est encore vivante en France, grâce aux pamphlets de la fin du xvni e siècle. On s’émouvait alors de la triste situation faite au petit propriétaire et a l’agriculteur ; on les plaignait tous deux sans considérer que de tous les intérêts, l’intérêt commun était seul vraiment sacrifié. Le propriétaire touchait de maigres revenus, le paysan vivait péniblement comme l’ouvrier des villes, mais des jachères répandues sur tout le territoire, une culture partout rétrograde attestaient l’entrave mise par la loi à l’utilisation complète des richesses naturelles et au développement du bien-être général. C’est un des bienfaits de la Révolution d’avoir rendu à la culture de vastes espaces que la dîme condamnait à la stérilité. La Révolution française supprima, avec la dîme, la taille, les vingtièmes et la multitude des droits féodaux qui grevaient les deux tiers environ du territoire, car les biens ecclésiastiques et les biens nobles, qui formaient le dernier tiers, en étaient exempts, sinon en totalité, du moins en grande partie ; ■elle les remplaça par un impôt unique frappant à la fois le sol et les constructions et elle afficha la prétention de le proportionner au revenu net de chaque propriétaire. La charge totale des anciennes redevenances IMPOT FONCIER

n’était pas inférieure à 320 millions ; bien qu’elle eût singulièrement ajouté à la matière imposable en annulant les privilèges, l’Assemblée constituante demanda au nouvel impôt 300 millions de francs seulement, y compris les centimes additionnels. C’était faire, avec la bourse de ceux qui n’en possédaient point, un don de joyeux avènement aux détenteurs de terre, mais comme on évaluait alors à 1440 millions les sommes qu’ils encaissaient à titre de fermages et de loyers, l’impôt devait prélever encore plus du cinquième de la rente . Les exigences de la politique n’ont pas permis de maintenir cette proportion ; toujours est-il que le principal de l’impôt, fixé d’abord à 240 millions, tomba à 174 millions en 1804 et s’abaissa à 154 millions en 1824. Pendant cet intervalle, la recherche du revenu net avait donné naissance à des difficultés insurmontables et l’on avait bientôt été obligé de recourir, dans la pratique, à la fiction de la fixité des évaluations cadastrales, qui enlève à l’impôt foncier jusqu’à l’apparence d’un impôt sur le revenu.

Les cadastres (voy. ce mot) sont des états descriptifs et estimatifs des propriétés foncières ; ils servent de base à la répartition et à l’application de l’impôt. Leur emploi remonte à une haute antiquité ; on suppose qu’ils étaient déjà connus en Grèce, du moins les à7tc7p a«s,l ressemblaient à de véritables registres censiers. Auguste fit arpenter toutes les terres de l’empire romain et institua un cadastre général que Dioclétien perfectionna, qui fut périodiquement revisé par ses successeurs, dont les barbares s’emparèrent lors de la conquête et qui fut-utilisé pour le partage du sol entre les vainqueurs. L’emploi du cadastre reparut d’assez bonne heure en Italie, notamment dans le Milanais et à Florence pour la perception de Y estima et du catasto. Charles YII ordonna enl481 la formation d’un Compoix terrien pour la France ; Colbert reprit la même idée, mais ne put la faire aboutir. Lorsque la Révolution éclata, l’Assemblée constituante, qui proclamait l’égalité de tous les citoyens devant l’impôt et qui appelait impôt la redevance territoriale, n’avait aucun moyen de faire triompher son principe à l’égard des propriétaires. L’ancien régime ne lui laissait que les documents informes, variables de province à province, au moyen desquels était répartie l’ancienne taille ; son embarras était extrême ; elle s’en tira en léguant la tache à ses successeurs et en votant la création d’un cadastre parcellaire. Travail gigantesque, ajourné pendant toute la République et qui, une fois entrepris, dura quarante- trois ans et coûta 150 millions de francs. Le cadastre parcellaire