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PAUPÉRISME

dans les villes, quoique, à certains égards, cette misère y fût plus supportable que celle (le nos villes contemporaines ; il ne faut pas oublier, en effet, que les pauvres des villages vivaient, comme aujourd’hui, au milieu de gens aisés ; qu’ils étaient, de la part de ces derniers, l’objet de secours ; qu’ils profitaient d’une foule de petits avantages, le glanage, le ramassage du bois mort, etc. Sans doute, ces pauvres étaient proportionnellement plus nombreux dans les campagnes que dans les villes, tandis qu’aujourd’hui ceux des villes sont en plus grand nombre ; mais nous pensons que les indigents de nos anciennes campagnes souffraient moins que les indigents qui vivent, de nos jours, dans les grands centres»

. Causes.

L’indigence étant la non satisfaction de tout ou partie des besoins de l’existence, suppose une insuffisance, ou même une absence de ressources ou de salaires. Quelles peuvent en être les raisons ?Elles se ramènent à trois chefs principaux : i° les causes peuvent tenir à l’état général de la société ; 2° elles peuvent être accidentelles, tantôt générales, tantôt individuelles ; 3° elles peuvent être imputables à la faute ou à la négligence ■de l’individu.

Parmi les premières, c’est-à-dire parmi -celles qui tiennent à l’état général de la so- ■ciété, il en est de politiques ; il en est d’économiques. Les causes politiques sont nombreuses, difficiles à énumérer ; elles sont le résultat soit de l’organisation sociale, soit -du vice des institutions civiles et administratives. L’écrivain que nous avons cité plus haut, M. Victor Modeste, examine minutieusement chacune de nos lois, de nos grandes institutions et, à propos de chacune d’elles, se demande dans quelle mesure elle peut agir -sur la naissance et sur le développement de la misère ; Tétude est attachante ; mais qui ne voit que ce n’est autre chose que l’exposé 4e tous les principes économiques ? D’ailleurs, ■comme le reconnaît lui-même l’auteur, parmi ces causes, il en est de supposées. Il n’est pas douteux, par exemple, que ce soit une erreur de penser que l’égalité dans les partages et le morcellement de la propriété puissent développer le paupérisme dans un pays ; nous pensons, au contraire, que la •division des héritages, en multipliant le nombre des bras qui cultivent la terre, favorise la production et a une influence heureuse sur la prospérité matérielle ainsi que

sur le moral des habitants. Une loi qui, par

.l’effet de privilèges injustes, amènerait une concentration excessive des fortunes, aurait

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plutôt pour résultat d’engendrer la misère. Il est encore des dispositions qui auraient cette conséquence. Les lois fiscales, qui, par suite d’une mauvaise assiette des impôts, établiraient de véritables capitations (voy. ce mot), contribueraient à maintenir la gêne dans les classes laborieuses. L’octroi est, par exemple, un mauvais impôt, dont l’iniquité a besoin d’être corrigée par un dégrèvement des autres taxes au profit des classes les moins fortunées ; faut-il en dire autant des droits de douane ? S’ils frappent des produits qui n’ont pas de similaires dans le pays, ils sont très vivement ressentis ; mais aussi ne sont-ils perçus, dans cette hypothèse, que sur des choses qui ne sont pas absolument indispensables à l’existence. Frappent-ils, au contraire, des subsistances de première nécessité, comme le blé dont les importations concourent, avec nos propres produits, à satisfaire aux besoins de la consommation, nous pensons que ces droits seraient de nature à aggraver la misère d’un pays, à moins d’être très modérés.

Le régime militaire peut contribuer à engendrer la misère dans les classes laborieuses. Si toute la jeunesse d’un pays est appelée à servir sous les drapeaux pendant sept ou huit ans, il n’est pas douteux que ce fait ne soit le grand ennemi de l’amélioration de son sort ; le service militaire exagéré, c’est le poids mort qui pèse sur la plus belle partie de la vie de l’ouvrier, sur celle qui doit être naturellement la plus féconde en ressources et en économies. Car, comme le fait remarquer M. Leroy-Beaulieu dans son Essai sur la répartition des richesses, l’âge vraiment productif pour l’épargne de l’ouvrier, ce sont les huit ou dix années qui s’étendent de l’âge de dix-sept ou dix-huit ans jusqu’au mariage, c’est-à-dire jusqu’à vingt-cinq, vingt-huit ou trente ans ; pendant cette période, le jeune homme jouit du gain de l’homme adulte, sans avoir à supporter les charges du ménage ; il peut, s’il est économe, épargner le tiers ou même la moitié de son salaire. Mais cette période est abrégée par la durée du service militaire qui est « pour la destinée de l’ouvrier ce que la grêle du printemps est pour les arbres à fruits ». N’oublions pas de mentionner un fait qui a sur le sort des classes laborieuses un effet considérable. Ce fait, c’est l’avantage que les lois et les mœurs donnent aux patrons ou aux ouvriers. Longtemps, dans le contrat de travail, par exemple, l’avantage appartenait aux patrons. Il en résultait un empêchement à l’augmentation des salaires et, par conséquent, une absence de bien-être pour les ouvriers. Aujourd’hui, la situation est tout