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PATRONAGE

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PATRONAGE

. Patronage des chefs d’industrie ; son caractère. Lorsque le travail était organisé de telle sorte que le droit d’exercer une profession était le privilège d’un nombre d’hommes limité (V. Corporations d’arts et métiers), ceux-ci avaient à l’égard de leurs inférieurs des obligations qui ne venaient pas d’une loi écrite, parce que ces lois alors étaient rares, mais de la coutume plus puissante que la loi et des croyances religieuses dont l’influence était grande sur la vie entière. Les maîtres logeaient et nourrissaient d’ordinaire leurs compagnons aussi bien que leurs apprentis, veillaient à leurs besoins moraux et matériels tout à la fois. Il y avait alors de la part des chefs d’industrie (ou de culture) un patronage très effectif, sur ceux qu’ils occupaient ; tout en exerçant une autorité très grande, ils se considéraient comme tenus de leur garantir une existence matérielle suffisante et la satisfaction de leurs besoins spirituels. La survenance de la grande industrie, en multipliant le nombre des ouvriers, en diminuant leurs chances de devenir patrons à leur tour, les sépara davantage de leurs maîtres et toutefois dans les premières usines le patronage continua d’exister avec une forme dont il y a encore quelques restes. Un observateur sagace et profond, F. Le Play, (voy . ce nom) a décrit, il y a quarante ans, dans ses Ouvriers européens, ce patronage existant encore en diverses contrées, mais qui s’appliquait à d’anciennes usines : forges, fonderies, verreries auxquelles un monopole de fait assurait un travail constant. «Lespatrons placés dans ces heureuses conditions de stabilité, écrivait-il, se croient obligés de maintenir eux-mêmes leurs ouvriers dans un certain état de sécurité et de bien-être déterminé par la coutume. Ils ne concevraient pas en général qu’il leur fût permis de faire dépendre exclusivement du salaire accordé au chef de famille l’existence de la femme, des enfants et des vieux parents. Ordinairement ils attribuent à la famille, à titre permanent, une habitation, des animaux domestiques et les dépendances territoriales nécessaires pour fournir des provisions à la famille et la subsistance des animaux. Ils font alterner l’industrie agricole avec la leur. » Les ouvriers occupés dans ces usines l’étaient suivant le système des engagements permanents, c’est-à-dire que, nés de pères ouvriers, ils travaillaient à leur tour dans l’usine leur vie durant et laissaient à leurs fils une place qui les avait fait vivre. La direction restait aussi dans les mêmes familles, si bien qu’il y avait de constants et mutuels rapports entre les patrons et leurs ouvriers. qu’ils connaissaient bien et dont ils se considéraient comme chargés d’assurer la vie. Cette situation n’existe plus que rarement à notre époque. Aujourd’hui des industriels montent un atelier et y occupent des ouvriers qu’ils ne connaissaient pas avant, qu’ils ne gardent souvent que peu de temps, que rien ne fixe et n’arrête. D’autre part, ces ouvriers ne sont pas des hommes habitués à une position subalterne et contents de leur ^ sort, parce qu’ils n’en ont jamais connu d’autre et qu’ils ont le nécessaire sans souci d’avenir et sont disposés par suite à se reposer sur le patron de tout soin matériel. Ce sont des hommes que l’organisation politique et l’opinion courante égalent à leur patron, qui, par suite, sont engagés envers lui non par tradition, par situation native, mais par un acte réfléchi de leur volonté. L’engagement est temporaire, ordinairement pour un temps très court et l’ouvrier n’attend du patron qu’une chose : le salaire qu’il fait tous ses efforts pour élever autant qu’il peut. Lors donc que ce patron a payé le salaire convenu, il a rempli légalement et en équité stricte toutes ses obligations envers son ouvrier ou son employé ; il ne lui doit rien.

Mais s’il veut élever plus haut ses pensées, il considérera que cet ouvrier, avec ses droits politiques et ses droits civils, est faible et ignorant ; il est faible par caractère et il est ignorant par apathie et par le milieu où il est. Il ne sait pas économiser ni prévoir l’avenir, il est peu soucieux de son hygiène ou physique ou morale et pas plus de celle de ses enfants que de la sienne propre. N’est-ce pas au patron qui tient de la Providence une énergie, une prévoyance que l’ouvrier n’a pas ; qui a aussi une instruction supérieure à la sienne, une situation en fait plus haute et de plus grandes ressources, n’est-ce pas à lui qu’incombe le devoir de faire pour cet ouvrier ce qu’il^ ne fait pas pour lui-même, c’est-à-dire d’être prévoyant pour lui, économe pour lui, soigneux pour lui ?

Allons plus loin ; malgré la hausse des salaires, il est certain que dans bien des cas et notamment dans la grande industrie, ces salaires suffisants pour l’ouvrier seul ou pour celui qui n’a que deux ou trois enfants ne suffisent qu’à peine à celui qui est chargé de famille et dont les enfants ou la. femme ne peuvent travailler de leur côté. Dans ce cas, il faut que l’ouvrier soit aidé ; quelque pénible qu’une telle situation paraisse, elle est % forcée et il vaut mieux que cette aide lui vienne de la bienfaisance discrète de son patron qui saura ou en allégeant ses charges de ménage ou autrement le tirer de peine, que